Entretien Christophe Robe/ Thibault Le Forestier - Hiver/ printemps 2024

 

Éveil et parcours de formation

La rencontre avec l’expression artistique est souvent considérée comme structurante, primordiale du parcours à venir.

Y-a-t-il eu un ou plusieurs éléments déclencheurs dans ce sens, dans ton enfance ?

Etais-tu prédisposé socialement a devenir artiste-auteur ?

 

Pas vraiment, c’est plutôt un désir qui est arrivé avec le temps à l’adolescence. Quand bien-même je viens d’un milieu social populaire le désir d’art était présent par ma mère qui avait peint et dessiné jeune. Cependant, bien que les livres et France Musique étaient présents dans la maison je n’avais pas d’accès direct à l’art. Nous ne nous déplacions pas et les visites des musées n’étaient pas au rendez-vous et encore moins la découverte de l’actualité artistique.

Est-ce que dans ta scolarité, il y a eu des éléments déclencheurs de ta volonté d’entamer une formation artistique ?

Je suis dyslexique, ce qui a produit de grandes difficultés tout le long de ma scolarité. La peinture, du moins le dessin au départ a sans doute été ma façon de faire quelque chose d’un peu positif.

Je faisais ce que je voulais sans avoir à subir le retour cinglant d’autrui.

 

Tu es diplômé de quelle école ?

Les beaux arts de Caen. Je suis sorti de l’école il y a fort longtemps, en 1990.

Est-ce que cela a été difficile de réussir le concours d’entrée et dans quel atelier as-tu travaillé ?

Non pas vraiment même si cela me faisait peur à l’époque.

J’avais fait quelques cours du soir aux Beaux-arts et j’avais fait un bac A3 Option art, ce qui avait aidé je pense. A cette période il n’y avait pas toutes ces prépas que l’on trouve désormais, et sans doute moins de personnes à vouloir entamer ce type d’études.

Il n’y avait pas d’atelier d’un seul artiste mais une formation collégiale avec cours, séminaire, atelier de recherche…Ce qui me convenait bien. Je ne pense pas que j’aurais apprécié le fait de dépendre d’un seul atelier.

 

Est-ce que des artistes/professeur.e.s, ont eu une influence prépondérante sur ton travail ?

C’est difficile à dire. Je ne pense pas que ni formellement, ni sur les enjeux qui me préoccupent des traces de l’un ou de l’autre soit particulièrement visible dans ma pratique. Cependant, et c’est une évidence, ils ont tous eu une influence plus ou moins forte. Soit sur le plan théorique, soit sur la manière de se positionner en tant qu’artiste. 5 années à partir de 18/19 ans cela compte. Cela fait très longtemps et certains de ces artistes sont devenus des amis plus ou moins proches, alors c’est compliqué pour moi de dire désormais ceux qui ont eu le plus d’importance pour mon parcours.

 De plus je regarde beaucoup le travail des artistes en général et le nombre de travaux, de parcours artistiques qui m’ont influencés sont très nombreux.

Quand tu te présentes dans l’espace social, comment te « désignes » tu ?

Artiste, plasticien, peintre ?

Plutôt comme peintre.

Tu as choisi le champ de la peinture pour t’exprimer, y-a-t-il eu une période où tu as utilisé d’autres médiums dans ton travail ?

J’ai fait des tentatives autres en tant qu’étudiant. J’ai même tourné beaucoup autour de la photo mais finalement c’est la peinture qui s’est imposée. Désormais et cela depuis plusieurs décennies c’est la peinture qui est au cœur de ma pratique, quand bien-même tant le dessin et des pas de côté vers le volume sont bien évidemment présents.

 

Qu’est ce que représente pour toi le fait d’être plasticien dans les années 90 ?

Et bien c’était un cauchemar, même si c’était, je pense, impossible pour moi d’envisager ma vie sans la peinture.

En 1990, lorsque je suis sorti de l’école, la peinture a de nouveau était considérée comme morte - du moins en France- ce qui produisait une impossibilité de trouver des interlocuteurs tant pour diffuser son travail, que de simplement discuter de sa pratique. Le simple fait de dire peinture produisait un volte face. Le plus gênant était, que de ce fait, il était impossible de vraiment discuter de ce que l’on faisait, qu’il était impossible de vraiment questionner le sens de la pratique de chacun puisque c’était réglé avant même d’en parler. La peinture c’est fini, vive l’esthétique relationnelle, vive la vidéo quoique l’on donne à voir…

Il faut dire que c’était la période de l’idéologie de la fin. Fin de la peinture, fin de l’art, fin de l’histoire, soit disant la fin des idéologies..

Bref l’idéologie du capitalisme flamboyant était définitivement imposée, rendue naturelle avec tout son florilège de fins.

On voit bien aujourd’hui à quel point tout cela était d’une grande bêtise.

Est-ce que le fait d’être originaire de Normandie a eu une influence sur les formes stylistiques, les couleurs de tes œuvres ?

Je ne sais pas vraiment, mais sans doute, nous sommes faits de ce que nous avons traversé et qui nous a traversé.

Penses tu que l’on peut mieux comprendre la production artistique d’un auteur au regard de ses origines, sociales, géographiques ?

Oui et non. On peut toujours trouver des explications psychologiques, sociales… afin de comprendre ou définir un travail, mais le plus souvent ce sont des explications qui ne disent fort heureusement pas complétement ce que l’on fait. C’est souvent une facilité afin de trouver une explication définitive aux questions que pose une œuvre. Cela peut sans aucun doute donner des pistes d’analyse mais certainement pas tout expliquer.

 A quel moment et dans quelles conditions es tu « monté » à Paris ?

J’ai simplement rencontré ma compagne qui vivait à Paris et à ce moment là c’était «  facile » pour moi de changer de ville ce qui n’était pas son cas.

Il faut dire également que Paris était une ville dans laquelle je venais le plus souvent possible afin de voir des expositions, musées ... depuis que j’étais étudiant, du moins à partir de la 3 année où j’ai eu la possibilité de poursuivre mes études tout en étant salarié, ce qui me permettait d’être autonome. C’était donc une ville dans laquelle  j’aimais me rendre sans y demeurer. Cependant sans cette rencontre amoureuse je ne serais pas venu m’installer à Paris. Je disposais d’un atelier et d’un appartement peu onéreux et c’était impossible de trouver l’équivalent à Paris.

 

Mouvements/ styles/ influx

Bien que depuis les années 90, la structuration en périodes, en mouvements soit moins prégnante, y-a-t-il eu des mouvements artistiques auxquels tu te réfères plus particulièrement? Des artistes ont-ils été particulièrement influençant dans le début de ton travail?

Les mouvements et artistes qui m’ont beaucoup intéressé sont nombreux mais au départ ce sont à la fois des personnalités comme P.Picasso, G.Braque de W. de kooning, R.Rauchenberg, Kurt Schwitters, A.Lorenzetti, M.Barcelo, G. Gasiorowski P.Guston R.Diebenkorn D. Hockney, le minimal art F.Stella, Rembrandt…tous ces artistes sont encore dans mon panthéon et je reviens sans cesse sur leurs travaux.

As-tu eu des « maîtres » en peinture, au niveau historique ?

Je ne sais pas vraiment si on peut encore dire cela, mais oui ce sont tous des maîtres en quelque sorte.

Y-a-t-il actuellement des peintres, d’autres artistes que tu regardes plus particulièrement ? Et qui contribuent à faire évoluer, à nourrir ton travail?

Tous les artistes que je regarde contribuent à faire évoluer ma pratique, tant les historiques que les contemporains. Tant les artistes que j’aime et regarde avec grande passion que ceux que je n’aime pas. Sans compter, bien évidemment, les amis artistes proches qui participent pleinement de mon évolution. Aucun artiste n’est une monade isolée du reste du monde.

Considères-tu que le champ de l’expression abstraite est toujours un champ d’expression à même de pouvoir répondre aux problématiques du monde actuel ?

Oui, du moins j’imagine que pour certains artistes c’est le cas. En ce qui me concerne je ne pense pas les choses en termes d’opposition entre abstraction et figuration. Je suis arrivé après cette bataille. Quand bien même je peux comprendre les artistes pour lesquels c’est un vrai enjeu, encore  aujourd’hui, pour moi ce n’est pas le cas, je n’arrive pas à penser ainsi. Je suis arrivé après, je suis donc héritier de toutes les contradictions et batailles de la modernité avec lesquelles je suis bien obligé de faire (on ne peut pas faire autrement, nous sommes en quelque sorte le produit de l’histoire).

Par ailleurs cette idée, à laquelle il faudrait absolument adhérer, selon laquelle l’art doit forcément répondre aux problématiques actuelles, me laisse songeur. Qui définit ces problématiques ? Pour qui ? Comment ? Avec quelle intention ? Quels sont les enjeux de pouvoirs qui se cachent  sous cette demande ? Pourquoi et comment cela invisibilise le plus souvent certaines démarches qui ne répondent pas à ces critères

Cela évidemment ne m’empêche pas de penser cet enjeu, de le questionner, mais souvent je suis interdit devant ce qui est considéré comme les problématiques artistiques soit disant actuelles.

 

 

 

Métier(s)

Est-ce difficile d’avoir un lieu de travail dans une grande capitale ? As tu eu des difficultés à trouver un équilibre logistique ?

C’est un enfer ! C’est la plus grande difficulté, avec celle qui consiste à trouver des diffuseurs de son travail.

Plus la ville est un lieu de pouvoir et de force économique plus c’est difficile si nous ne disposons pas d’une économie un peu solide et cela c’est vraiment pas gagné…

Quelle définition donnerais-tu au métier de peintre en 2024 ?

Aucune.

Après avoir eu une place prépondérante tout au long du XX siècle,

comment comprends tu le recul de la place de l’expression abstraite dans le champ de l’art contemporain en France ?

J’ai déjà un peu répondu. C’est essentiellement une histoire de mode et de marché de l’art à mon avis. Il faut que l’offre donne l’illusion d’une nouveauté donc il faut faire un peu le contraire de ce que la décennie précédente a fait et collectionné. Mode et distinction voilà la belle affaire. Cependant il ne faut pas négliger non plus qu’il est tout à fait impossible de savoir ce qui dans les expériences du passé sera utile à une nouvelle génération d’artiste. Il faut distinguer à chaque fois, ce qui est montré, mis en avant à un moment donné et ce que les artistes produisent.

Te consacres tu exclusivement à ta pratique de la peinture ?

Non. Je suis également enseignant.

Penses tu qu’il est obligatoire de vivre dans une grande capitale pour être à même de pouvoir ressentir et exprimer l’actualité du réel ?

Non absolument pas.

 

 

 

Champs artistiques/ Références

Excepté l’art visuel, y-a-t-il d’autres disciplines (architecture, design, …) dont on peut dire qu’elles ont une importance pour nourrir le champ de ta créativité́?

D’autres disciplines des sciences humaines, la sociologie, la géographie, l’histoire, autres ? Ou le documentaire, le cinéma ? Les séries ?

Littérature/ essais

As-tu des romans, des essais qui t’ont marqué et qui nourrissent encore ton travail ?

Musique

As tu des groupes, des compositeurs de prédilection ?

Oui, la bd, le cinéma, le théâtre, la musique, certains textes de sociologie,  de philosophie, peu de romans il est vrai, mais un peu de temps à autre…

Je suis plutôt obsessionnel et donc je regarde souvent des choses en lien avec l’art.

En ce qui concerne la musique j’ai comme chacun mes préférences. J’écoute presque tous les jours de la musique cela va de Bach à Kagel ou Barett en musique dite savante, de Dominique A,  Miossec ,  Wyatt, DDA, Waits, Sonic Youth, Coltrane, Aquaserge…..

De tout cela sans aucun doute cela doit nourrir ma pratique cependant à part certains textes précis, le plus souvent je ne cherche pas à trouver spécialement une nourriture pour ma pratique cela ne fonctionne pas vraiment et aussi clairement comme cela.

 

 

 

 

 

Cuisine

Comment se construisent tes réalisations ? Fais-tu des croquis préalables à tes peintures ? As tu des protocoles précis ?

Depuis de nombreuses années désormais je n’ai aucun protocole précis. Le plus souvent je commence et voilà tout. Sans aucune idée précise. Lorsque la peinture ne fonctionne plus je me consacre au dessin et ainsi de suite.

Il n’y a pas de croquis préparatoires, quelques fois des photos retouchées sur mon téléphone en cours de réalisation mais cela de même est de plus en plus rare.

Est-ce que les carnets de travail ont une place prépondérante à la gestation de ton oeuvre?

Non

Tu postes sur les réseaux sociaux, des images photographiques, l’histoire de l’art a de plus en plus l’occasion de montrer la place de ce médium dans le travail des artistes ( Rodin, Brancusi, Picasso, Richter, Polke…), est-ce que l’on peut considérer cette pratique comme un carnet de notes pour toi ? En quoi cette pratique nourrit-elle ton travail pictural ?

Depuis une dizaine d’années je n’utilise plus de photos pour travailler. J’ai à une période utilisé des images que je réalisais pour mes peintures soit de manière précise pour un tableau soit lors de mes balades je faisais des images qui de temps à autre pouvaient servir pour une  peinture. Ce n’est désormais plus le cas et ce n’était pas le cas non plus au début de mon parcours.

En ce qui concerne les images postées ce sont des photos que je réalise au hasard de mes voyages le plus  souvent, des choses qui m’intéressent. Je ne  sais bien pas très bien si il y a un lien si évident avec mon travail. C’est rarement un lien formel c’est plus une sorte de même espace mental il me semble pour certaines images.

 

Est-ce que la déambulation dans les paysages naturels est une source d’inspiration pour ton travail ?

Oui cela était le cas fortement à un moment donné. Désormais  c’est quand même beaucoup plus ténu, moins direct comme liens. Dans ma peinture ce sont  à la fois des  paysages et des paysages mentaux.

 

Construction

Comment peux tu définir le fait que tes peintures semblent traiter des thématiques du macrocosme et du  microcosme ?

Et de fait, est-ce que tu utilises une documentation scientifique pour nourrir tes œuvres ?

Je n’utilise aucun document de référence. C’est plutôt arrivé petit à petit. Qui plus est, je ne pense pas qu’il s’agisse pour moi de travailler sur une thématique quelconque de cet ordre.

Cela a à voir, il me semble, avec le fait que mon travail plastique pourrait donc s’énoncer comme la recherche, la découverte, via les outils de la peinture, de ma perception du monde. Sans peinture, je suis en incapacité en quelque sorte à imaginer mon rapport au monde. En cécité. C’est par le travail de la peinture que je peux imaginer mon rapport au monde.

C’est bien plus  la question de notre mémoire perceptive qui est posée par ma pratique il me semble.

La perception est faite du mélange entre savoir et affect, concept et sensation, entre mémoire et rapport au présent, entre espace réel et espace mental, c’est cette complexité même, que la peinture dans sa spécificité en regard des autres images peut mettre en scène et c’est cela qui m’intéresse.

 

Que reste-t-il de mon expérience perceptive? C'est cela que je cherche.

 

Ou bien, dit autrement. Quelle serait la représentation possible et toujours mouvante, flottante, de l'endroit, de l'espace mental et physique de ma relation au monde. Ou plus précisément, peut-être, comment rendre visible cet espace étrange entre moi et le monde, cet espace poreux, cette porosité même qui tisse inévitablement une relation faite d'imagination, de mémoire intime et culturelle, de frottement tant  physique que mental avec ce et ceux qui m'entoure.

Le monde souvent flottant au contour d’échelle très large de mes peintures de ces dernières années a à  voir avec cela.

D’ailleurs j’avais donné comme titre à ma dernière exposition à la Galerie Fournier « Astéroide et aqurium » afin de mettre la puce à l’oreille si je puis dire.

 

Tes peintures semblent pour chacune d’entres elles être des expériences, est-ce que tu te considères comme un artiste chercheur, un explorateur qui avance dans un territoire inconnu ?

Oui plutôt. Si je savais d’avance ce que j’allais faire cela ne me retiendrait pas. De toute manière c’est impossible pour moi de faire autrement. C’est ce que je ne sais pas que je vais faire qui m’intéresse de découvrir en misant sur la pratique.

David d’Angers au début du XIX est allé rendre visite à Caspar David Friedrich à Dresde en 1834, il parlera a posteriori de ses œuvres comme des représentations de la tragédie du paysage, contribuant à la compréhension de ses œuvres comme des représentations du sublime.

Y-a-t-il dans ton travail une représentation de la tragédie ?

Et de quelle forme de tragédie ?

Non pas comme cela, mon travail n’est pas dans cette tradition du sublime, il me semble.

Cependant je suis certain qu’il est traversé par une tension entre une forme d’humour, de qualité « décorative » et quelque chose de beaucoup plus sombre et angoissant. Si c’est cela que tu veux dire alors oui. C’est traversé par l’angoisse, c’est évident.  

  Y a t il cet intérêt pour toi de plonger le spectateur dans un champ formel et coloré visant à le confronter à cette forme d’expression de la beauté, précédemment défini par Edmund Burke dès le XVIII siècle, le sublime ?

Considères tu que l’accès au sublime est actuellement à chercher dans l’infiniment petit et l’infiniment grand plutôt que dans les confrontation avec l’immensité de la nature?

Caspar David Friedrich écrira que le peintre «  ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit devant lui, mais également ce qu’il voit en lui », comment cette phrase éclaire-t-elle, plus particulièrement ta démarche ?

Voir réponse sur la mémoire.

Et prolongeant le rapport au paysage, Wassily Kandinsky écrira dans du spirituel dans l’art en 1910, «  L’art peut atteindre son plus haut niveau, s’il se dégage de sa situation de subordination vis à vis de la nature, s’il peut devenir absolue création et non  plus imitation des formes du monde naturel », Penses-tu que cette déclaration résonne-t-elle encore au regard de la période actuelle pour toi ou celle-ci te semble-elle très datée et ne  permet que de donner des clés pour comprendre l’abstraction au XX siècle ?

Je pense que plus personne ne pense vraiment ainsi maintenant. Même des artistes contemporains qui disent peindre les apparences le font le plus souvent à partir de photographies, ce qui fait qu’ils peignent un filtre et non le réel ou la nature pour reprendre le vocabulaire de WK. Quant à savoir ce qui produit le plus haut degré d’art dans l’abstraction c’est une autre histoire en effet. Pour ma part je ne m’avancerai pas sur ce terrain. Je peux juste dire que de mon côté je ne suis pas dans la pureté mais plutôt dans l’impureté du point de vue de l’abstraction. Ni vraiment abstrait ni vraiment figuratif. D’ailleurs je pense que ce degré absolu d’arrachement de l’abstraction face au monde n’est qu’une partie de l’histoire de l’abstraction.

Une exposition au musée du Jeu de Paume à Paris, en 2020 se nommait «  le supermarché des images », sur l’actuelle prolifération sans fin de la présence des images à même d’être vues , métastases questionnées par notamment l’essai d’Annie Lebrun «  Ceci tuera cela, image, regard et capital » qui considère cet état comme une deuxième étape des réflexions de Walter Benjamin sur la disparition de l’aura, que représente le fait d’ajouter des images, chez toi, picturales face à ce maelstrom ?

 

Oui en effet c’est complexe comme question et je ne suis pas certain d’avoir vraiment les outils conceptuels pour suivre les réflexions d’Annie Lebrun et de Benjamin sur l’aura.

Cependant je peux simplement dire que la question que je me suis posée depuis longtemps et qui était liée à ce refus de la peinture dans les années 1990  est la suivante :

Qu’est-ce que la peinture peut apporter de spécifique que les autres productions artistiques ne développent pas ? En quoi la peinture est particulière par rapport aux autres productions d’images ?

Je pense que justement, et encore bien plus maintenant, que la peinture offre un mode de perception tout à fait singulier que la photo n’a pas. Ce n’est pas tant l’unicité du tableau, sa non reproductibilité, il me semble, que le fait que la peinture est à la fois une image et une réalité matérielle qui se donne à voir conjointement. Qu’elle a une physicalité, une matérialité en même temps qu’une opticalité, que cela est indissociable en peinture. Nous ne pouvons faire l’expérience de l’image en peinture qu’en étant devant le tableau réel. Que c’est toujours une expérience physique et mentale, physique et optique, indissoluble. C’est par ailleurs la trace de quelqu’un qui s’adresse à quelqu’un à travers cet objet spécifique. On aura beau agrandir le format d’une photographie afin de lui donner un aspect tableau, un statut «  d objet- tableau » elle restera uniquement une surface.

Et pour rebondir, l’idée de progrès dans l’art semble s’être progressivement diluée dans les années 90 dans la marchandisation et dans les conceptions d’événementiels, toujours plus monumentaux. Crois-tu toujours à l’idée de progrès en arts visuels ?

Absolument pas. Je ne vois pas où est le progrès entre Lascaux et la dernière Biennale de Venise.

Pour en arriver à la question, que l’on pose souvent, que  représente en 2024, le fait de continuer à peindre ?

Il y a autant de réponses que de peintres il me semble. Je peux juste dire que je m’aperçois, au bout de ces années, que j’ai organisé ma vie autour de la peinture et que c’est important pour moi. Je ne vois pas de raison d’arrêter pour le moment. Et de manière générale je ne vois également aucune raison pour que quiconque qui désire peindre ne le fasse pas.

 Les technique s’accumulent et l’obsolescence programmée de la peinture par la vidéo la photo …est une bêtise me semble t il. De plus, il ne s’agit pas uniquement d’un médium d’une technique mais d’un médium à l’épaisseur historique. C’est donc une évidence avec la peinture que nous avons à faire à un lieu complexe où l’histoire des humains est enchâssée.

Et, penses-tu que la création dans le champ de l’abstraction a-t-elle la place qu’elle mérite en France ?

Actuellement ? Certes non. L’abstraction est assez peu visible. Comme dit plus haut, cela a à  voir tant avec la mode, le désir des collectionneurs et des diffuseurs en général, que sans doute, avec les préoccupations des jeunes artistes qui semblent, du moins ceux que l’on voit, peu intéressés par cette histoire. Il semble que les images leurs soient plus familières.

 

 La place particulière donnée au dessin

Les dessins de petits formats semblent être encore plus, chez toi, les espaces privilégiés de la recherche.

Et d’une certaine manière, ils semblent plus « iconoclastes ».

En quoi te permettent ils d’aller vers des chemins de traverses ?

Je les voie comme étant au bord d’une certaine falaise, une falaise qui suit la ligne fluctuante séparant l’abstraction de la figuration.

D’ailleurs, il semble qu’ils soient le lieu d’échappées quasi figuratives chez toi, je pense aux formes de têtes expressives, des personnages qui viennent de donner naissance à une édition.

Comment gères tu cet équilibre entre peintures abstraites dans lesquelles on reconnais le «  style » de Christophe Robe et dessins quasi figuratifs ?( Cela me rappelle le travail d’Ad Reinhardt, pilier de l’abstraction radicale américaine des années 50, qui était aussi l’auteur de dessins humoristiques, très très éloignés de sa peinture).

Le dessin est revenu en force dans mon travail à un moment où je me trouvais dans ce qui me semblait être une sorte d’impasse. Je réalisais à ce moment des tableaux qui étaient très contrôlés, quand bien même le plus souvent, il n’y avait ni maquette ni véritable projet préalable. Je travaillais en essayant d’envisager les diverses lectures possibles par exemple, de contrôler au crible de l’analyse les signes et images qui se trouvaient sur la toile. Bref j’avais l’impression que j’allais finir par me perdre dans des jeux de langage, ce que je n’aime vraiment pas. C’est pourquoi je me suis mis au dessin dans une volonté de donner une grande place à l’intuition et de ne surtout pas chercher ni à contrôler ni à donner du sens trop rapidement à ce que je faisais. J’ai donc fait de petits dessins pendant plusieurs mois sans les montrer à qui que ce soit. En espérant que quelque chose allait arriver et que cela finirait par avoir une influence sur ma pratique picturale.

De ce fait ils ont été un nouveau laboratoire de possibles et ont permis de trouver un autre régime de travail. Depuis je dessine toujours, simplement les formats sont plus divers du tout petit au format raisin disons. Ce qui reste modeste. J’utilise diverses techniques et approches afin de garder cette attitude dans le travail.

En ce qui concerne le soit disant style C.ROBE cela ne m’intéresse pas. Je ne cherche pas à développer un style reconnaissable. Je cherche à être juste, disponible à ce que je fais. D’être dans la découverte de ce qui se produit et qui m’indique ce par quoi je suis traversé. Il ne s’agit pas de faire des citations, ce qui me mettrait dans une sorte de jeux de rhétorique picturale et c’est précisément cela que je voulais éviter. Il ne s’agit pas non plus d’épuiser tous les possibles. Il s’git d’être aux aguets de ce qui arrive sans juger trop vite de ce que c’est. De se laisser surprendre.

D’être le spectateur et l’acteur de ce par quoi l’on est traversé.

Ce n’est pas séparé dans mon travail. La peinture, les dessins, les petits volumes forment un tout aux multiples branches qui construisent au fur et mesure ce qu’est mon travail.

Aucune volonté de définir à priori une logique qui consisterait à donner une cohérence à la démarche. On verra après coup si j’ai été juste ou non. Ce qui relie intrinsèquement toutes ces propositions. Ce que sera ma cohérence interne.

De ce point de vue je ne pense pas que cela ait à voir avec la position d’Ad Reinhardt. Je fais tout en même temps et tout est à égal niveau pour moi je suis autant attaché à un petit dessin qu’une peinture de 200 x 250. Je suis toujours à la recherche de quelque chose qui va empêcher d’être trop confortable. Surtout ne pas s’installer mais continuer à éprouver à s’éprouver dans la pratique.

En tant qu’artiste, représenté par une galerie historique, Jean Fournier (hier encore…), est-on encore, en 2024, « étiqueté » par une forme reconnaissable d’expression plastique spécifique qui peut être aliénante ?

Est-il encore difficile pour un plasticien contemporain d’avoir la liberté de pouvoir s’émanciper de son propre «  style » ?

Ou peut-on, comme a pu le faire, et on l’a critiqué sur ce point, Gerard Gasiorowski, prendre des virages à 180° ?

Les deux galeries avec lesquelles j’ai travaillées ces dernières années m’ont toujours laissé faire ce que je voulais. Je n’ai jamais reçu  «  d’ordre » ;  il y a eux des remarques, des choix dans le corpus de ma production lors des foires ou des expositions, bien évidemment, mais rien qui m’ait empêché de faire ce que j’avais à faire. Pour cela je leurs suis vraiment reconnaissant car je sais que ce n’est pas le cas de tous les marchants.

En ce qui concerne la pluralité des propositions, cela, en effet, n’aide pas beaucoup à la reconnaissance du travail. Il est sans doute plus simple de faire des œuvres qui ont un caractère formel commun c’est plus simple. Mais je préfère des artistes comme G.Gasiorowski, Picasso, Morlay, Diebenkorn ou Guston par exemple qui ont tout rejoué plusieurs fois.

 

De plus, est-il possible de faire des pas de côté, permettant de s’exprimer dans des champs disciplinaires « annexes » à l’art contemporain ?

Sans doute, rien n’est fixé d’avance à mon avis. Bien que de même ce n’est pas toujours bien compris par les acteurs du milieu de l’art.

De mon côté bien que n’étant pas illustrateur (et je ne dis pas cela par mépris pour l’illustration, mais bien par respect des illustrateurs qui ont une grande importance à mes yeux) j’ai réalisé des livres pour enfants par exemple. Et je viens de faire des images pour une nouvelle traduction et adaptation  de la vie nouvelle de Dante par Emmanuel Tugny. J’ai tenté à chaque fois de rester fidèle à ma manière de travailler. C’est en effet un pas de côté qui est fort intéressant car cela oblige à penser autrement. On ne pense pas les relations entre les peintures ou dessins de la même manière pour une exposition et un livre.

Connaissant ta grande faculté à rebondir d’une idée à l’autre et ta grande réflexion sur l’évolution des formes artistiques, nourrie de références multiples, peut-on dire que ces dessins sont l’exacte représentation spontanée de ta personnalité ?

Je ne sais pas si cela représente la partie spontanée de qui je suis. Je ne suis pas certain d’ailleurs que le mot spontané convienne à décrire le processus de travail. C’est toujours plus complexe.  Cependant comme indiqué plus haut il s’agit pour moi de se mettre dans une position d’ouverture, d’écoute à ce qui surgit devant moi. De ne pas projeter ce qui va arriver. Je n’ai pas d’idée avant, du moins pas d’images mentales, ni de présupposés conceptuels avant de m’y mettre.

Pour autant, il est certain que le choix des formats, des outils, de ce qui a déjà était fait, bref de tout ce qui est la réalité d’une pratique,  influence ce qui est en cours. De plus, inévitablement une sorte de langage finit par se mettre en place. Il s’agit alors de tirer le fils ou de le casser ou un peu les deux, afin de toujours découvrir quelque chose je n’aurais pas imaginé. C’est sans cesses des allers retours. Cela produit au fil du temps des sortes de familles d’ oeuvres ou des singuliers. Je m’aperçois après coup de cela le plus souvent. Même évidemment, pour être totalement honnête, une sorte de professionnalisme fait que, quelque fois, on voit vite ce qui arrive. Mais on peut tout aussi bien ne rien voir de ce que l’on fait. Il faut regarder, changer sans cesse de position, faire de nouveau, regarder, faire, défaire, refaire, regarder attendre, encore et encore…

Pour conclure provisoirement, je dirai que l’idée d’une liberté totale d’une pure spontanéité est une illusion. 

 

Y a t il, encore plus que dans les peintures, une forme, développée par les surréalistes, de dessins automatiques ?

Je ne suis pas certain de cela non plus. Je ne pense pas que la visée soit de dévoiler mon inconscient pour simplifier un peu les enjeux. En tout cas ce n’est pas l’essentiel.

 

Présentation/ monstration

Comment envisages tu la présentation de ton travail ?

Est-ce que, pour toi,  l’exposition est une œuvre en tant que-t-elle, comme ont pu le montrer la génération des artistes issus de l’école de Grenoble ( Parreno/ Huygue/ Gonzalez Foerster) ?

En ce qui concerne les expositions personnelles, le plus souvent il s’agit pour moi de tenter de rendre compte, le mieux possible, de ce qui s’est passé dans l’atelier. Ou bien, de donner à voir, par les choix des pièces, certains aspects particuliers de ma pratique.

Il est évident que le contexte, le lieu feront partie des paramétrés pris en compte pour déterminer ces choix.

De plus, avec le temps, j’ai appris à être à l’écoute  des personnes avec lesquelles je fais l’exposition. C’est toujours intéressant d’être confronté à d’autres points de vue sur son travail et sur ses choix. Je sais que je n’ai pas toujours raison, bien que je m’arrange, à chaque fois, pour avoir le dernier mot.

Il n’y a donc que rarement une exposition qui est pensée en amont des réalisations. Je ne suis pas du côté de Parreno qui envisage l’exposition comme un médium. Mon espace de pensée principal est le tableau ou le papier pour simplifier. Cependant il est impossible d’accrocher n’importe comment, car justement, le fait que l’installation le travail in situ… ou simplement les habitudes de monstrations nous imposent de réfléchir les choix, quand bien-même si le choix était de tenter de n’en avoir pas.

 Est-ce différent pour toi d’exposer seul plutôt que d’exposer dans des expositions collectives ?

Oui c’est très différent. D’ailleurs quand il s’agit de foires ou de collectives avec un commissaire, un directeur… Mis à part le choix des hauteurs par exemple je pense que le mieux est de laisser faire. En revanche si je participe à l’accrochage, si c’est un duo par exemple c’est alors un vrai dialogue à plusieurs et c’est intéressant car cela permes également de regarder autrement son propre travail et celui de l’autre.

Chaque type de monstration permet de vérifier si ce que l’on se raconte à l’atelier est juste. Vérifier si cela tient, et, comment cela tient. Cela permet de prendre un autre type de distance par rapport à sa production.

As tu des références qui nourrissent ta réflexion dans ce domaine de la monstration de l’œuvre ?

Non pas vraiment, mais cela fait des décennies que je visite des galerie,s musées, centres d’art…alors, à force, on se fait un peu l’œil. Et on comprend un peu mieux ses propres choix et le choix des autres artistes. Que l’on aime ou pas d’ailleurs leurs propositions.

 

Engagement

Une autre de tes facettes est la transmission.

Considères –tu que celle-ci est à même de pouvoir rapprocher le plus grand nombre de la création contemporaine ?

Penses tu qu’en France il y a un manque de temps donné à l’histoire de l’art, une éducation à l’image mais aussi à la forme permettant au public d’envisager la création contemporaine avec un regard éduqué ?

Est-ce que ce type d’implication correspond à une démarche politique de ta part, à savoir apporter la possibilité de réaliser des formes artistiques et de connaître l’évolution de l’art au plus grand nombre ?

Ce sont  vraiment des  questions complexes.

Je ne sais pas si la transmission en général, aide à vraiment rapprocher un large public autour de la création contemporaine. Certains vont développer un goût pour les arts, les autres non.

Le plus souvent la transmission aide simplement à fabriquer du clivage social, de la distinction sociale, et c’est très compliqué de sortir de cela il me semble. Il y a  toujours une complexité à distinguer art et culture.

 Je suis cependant certain que l’art peut sauver. Et pour que cela puisse arriver, il faut avoir la chance de rencontrer l’art dans son parcours, ce qui est loin d’être le cas pour la plupart des gens. Et je ne parle pas ici de forcément devenir un artiste. Je parle d’avoir un lien avec les formes artistiques, avec la question du symbolique. Sans accès aux divers  langages, au symbolique justement, le risque est d’être enfermé dans soi, dans sa colère, dans son incapacité à imaginer et s’imaginer autrement …et  ça c’est terrible.

En France il y a beaucoup de discours sur la démocratisation de la culture, sur les questions d’accès à la culture pour le plus grand nombre… Et en effet en partie cela a été réalisé d’une certaine manière, surtout  si l’on compare à d’autres pays.  Cependant, l’on ne peut que constater, que désormais, beaucoup de discours sur ces questions ne sont que de la rhétorique. Il suffit, par exemple, de regarder dans les appels à résidence pour jeunes artistes ce qui est demandé. Il s’agit souvent d’instrumentaliser des artistes qui sont envoyés dans des quartiers en difficulté afin de faire, à des tarifs horaires lamentables, ce que les éducateurs prenaient en charge auparavant. Est-ce cela la démocratisation culturelle ? Même si je suis certain que l’engagement et la sincérité des artistes dans ce type de projets ne sont pas à remettre en cause. Cela pose question.

Pour ma part je n’ai pas de position ou d’engagement politique de ce point de vue. Ce ne  serait vraiment pas honnête de ma part de dire cela. Lorsque j’étais jeune je participais activement à des projets d’éducation populaire au sein d’associations, et là en effet la dimension politique était vraiment importante et discutée.  Ce n’est plus le cas.

Cependant, je suis enseignant, donc la question de la transmission se pose pour moi.  Mais c’est  dans un cadre particulier de loisirs, et cela ne concerne finalement que des personnes ayant un fort désir de pratique artistique. Cela n’en est pas moins complexe, car c’est toujours une difficulté de passer du désir d’une pratique avec ses a- prioris sur ce que cela  doit être et d’être confronté à la découverte du champ de l’art tel qu’il est désormais.

C’est encore différent lorsque je suis en atelier avec des étudiants d’école d’art, en jury ou avec des prisonniers … Chaque endroit, chaque dispositif à ses complexités et c’est toujours intéressant.

 

Culture/ voyages

Est-ce que les voyages nourrissent l’évolution de ta pratique?

As tu fait des voyages qui ont été déclencheur de « virages » dans ton travail plastique ?

Ou es tu comme, encore Caspar David Friedrich, à qui ont reproché de ne pas avoir fait le voyage à Rome auprès des grands maitres, qui déclarait, je simplifie, «  dans un grain de blé ont peut voir Dieu » ?

Inversement est-ce que ton inscription géographique actuelle, dans un espace urbain a-t-il été déterminant pour ton travail artistique ?

J’ai déjà un peu répondu. Non aucun voyage en particulier n’a radicalement changé ma pratique. Ce n’est jamais aussi clair que cela pour moi. Mais cela n’est pas exclu que cela m’arrive un jour…

En revanche, Je suis certain que le contexte dans lequel on vit influence le travail simplement parce qu’il influence la vie en général.

 

 

Strates ou « pas »

Si tu envisages ta carrière, considères-tu que tes œuvres comme se superposant les unes au-dessus des autres, l’ensemble constituant un mur ( dans un sens positif, constructif) ou les voies tu plutôt comme des « pas » qui construisent ton chemin de vie ?

C’est plutôt un chemin pour moi. Chemin escarpé.

Voies tu une évolution dans tes réalisations, au niveau des compositions, des représentations formelles ?

Oui bien sûr qu’il y a une évolution quand bien même j’imagine que l’on peut trouver des correspondances, des retours, des obsessions mais cela a beaucoup bougé. C’est plus de 30 années de peinture désormais, alors, forcément cela a un peu bougé. Du moins je l’imagine ainsi.

Sais tu sur quoi tu vas travailler dans les cinq ans à venir ?

Surtout pas.

Souvent les artistes visuels disent que leurs réalisations les aident et sont indispensables dans la construction et la connaissance de leur identité et qu’elles sont indispensables à l’évolution de leur vie, es-tu dans le même cas ?

En partie oui. Je pense que sans la peinture je ne serais pas certain d’exister. Du moins la peinture me montre que je suis vivant. Quant à savoir si elle donnerait à voir mon identité c’est une autre histoire. Ce n’est pas ma question. Ce qui m’intéresse c’est de découvrir ce par quoi je suis traversé et non ce que  serait mon identité. Pas de recherche ontologique et identitaire.

De fait, penses-tu qu’un artiste progresse constamment ou plutôt qu’il traverse des périodes plus ou moins déterminantes dans son évolution avec des périodes de stagnation, de régression nécessaire à son évolution et que la notion dynamique de progrès n’existe pas en art ?

Il y a plusieurs questions dans ta question qui ne me semblent pas du même ordre.

Pour ma part, oui il y a des périodes, des moments différents et sans doute des moments moins intéressants que d’autres, mais ce n’est pas à moi de le dire. J’ai ma petite idée là-dessus mais je peux vraiment me tromper. De plus, le contexte historique influence toujours un peu le regard que l’on porte sur son propre parcours, c’est extrêmement difficile de se défaire des clichés du moment, quand bien même, je pense que c’est le travail de l’artiste que de se défaire des présupposés, des clichés de son époque. Mais ce n’est vraiment pas simple.

Je ne vois pas de progrès en art. On passe son temps à comparer des œuvres pour dire ceci est mieux que cela, on n’a pas d’autre choix mais dire qu’il y a un progrès entre le 14 siècle à Sienne et la modernité à Paris en 1907 ne me semble pas juste.

Penses-tu que l’on peut comprendre l’artiste, son psychisme en regardant ses œuvres ou faut-il analyser de manière sociologique, ses conditions de vie, d’habitation, pour comprendre l’œuvre ?

Que dire du psychisme de Carl André en marchant sur ses plaques ?

Je pense que l’on peut convoquer tous les outils que l’on veut pour analyser une œuvre mais qu’ils ne sont pas tous appropriés. On raconte vite n’importe quoi.

 

Titre

 

As-tu choisi un titre pour ton exposition à L.A. Galerie ? Et si oui, pourquoi ce titre ?

« T’as vu ta tête » ?

 

Donner à voir le monde invisibilisé.

 

On associe le statut d’artiste, à une expression d’un positionnement qui répond aux problématiques de la société́, est-ce ton cas ?

Je ne comprends pas ta question.

Ou en d’autres termes, te considères-tu comme un artiste engagé ?

Non, il ne faut pas pousser. Cela devient de plus en plus ennuyeux tous ces discours sur l’engagement moral politique des artistes, c’est une sorte de prêt à porter pénible. Je ne veux pas jouer ce jeu là.

Penses-tu que l’art peut encore être une possibilité de mettre en lumière des situations que la société aimerait laisser dans l’ombre, cachées ?

Oui en partie c’est juste pour certains artistes. Pour autant il ne faut pas oublier que la société n’est jamais totalement prête à se regarder. C’est une tension.

 

Wim Wenders vient de sortir un film qui se passe au Japon, The perfect days sur la vie d’un employé qui entretient avec passion et délicatesse les toilettes publiques, penses tu que l’être humain devrait être beaucoup plus attentif aux petites choses et plus respectueux des invisibles qui font que la vie en société est possible ?

J’ai adoré ce film, l’inverse de ce qu’il a fait avec Anselm Kiefer.

J’ai toujours aimé les artistes qui travaillent sur les petites choses comme tu dis. De Chardin, à Morandi, De Van Gogh aux photographes humanistes.

 

Statut

 

Penses-tu que le statut actuel des artistes auteurs en France est-il un statut idéal pour construire une œuvre artistique ? Où considères-tu que la charge de devoir gagner sa vie, par d’autres biais, nuit-elle à la construction de votre travail artistique ?

Je pense que ce n’est pas idéal. Que c’est même pénible à certains égards, cependant, il ne faut jamais oublier que nous pouvons faire ce que nous voulons. Ce qui ne veut pas dire que cela sera vu, montré par qui que ce soit, mais la liberté est malgré tout présente. C’est même la condition de l’artiste depuis le début de notre modernité : chacun peut faire ce qu’il veut, et doit, après coup, se faire enregistrer comme artiste, se faire reconnaître par le milieux de l’art. C’est de l’auto proclamation. Je suis artiste et je demande à être reconnu comme tel. C’est ainsi, c’est notre condition. Ce n’est pas le diplôme d’une école d’art qui garantit l’entrée dans la profession comme nous le savons tous.

Il n’y aurait donc pas de censure dans notre monde ultra libéral…Evidemment le fait que certaines œuvres ne trouvent pas de lieux de diffusion tend à prouver que tout n’est pas si clair. De plus,  les problèmes de survie de beaucoup d’artistes tendent également à prouver que si tout est permis a priori tout n’est pas possible pour tout le monde. (Par tout est permis il faut souligner que certaines choses sont interdites par les lois, ce n’est pas au nom de l’art que tout est toujours possible. Le meurtre comme art n’est pas, fort heureusement, toléré.

 Dernier point, en ce qui me concerne le fait de d’avoir un  travail alimentaire afin de pouvoir vivre et financer mon travail artistique  m’empêche certainement de m’y consacrer pleinement. Du moins je le vis, désormais un peu comme cela, c’est que le temps qu’il me reste à vivre et travailler est désormais compté… A la sortie des beaux-arts il était pour moi une évidence que je devrais avoir des emplois afin de poursuivre. Que c’était même une condition indépassable. D’ailleurs j’avais été étudiant salarié et j’ai continué  ainsi après. Avec des périodes de chômage, même de RMI.. Bref, comme tout le monde j’ai essayé de trouver des solutions de construire ma vie avec la peinture et avec la réalité des conditions de vie de tout un chacun.

 

Entretien préparatoire à l’exposition à L.A. Galerie du Lycée Anguier de Eu, réalisé entre Christophe Robe et Thibault Le Forestier – Hiver/Printemps 2024

 

Mercredi 16 octobre- 17h/ vernissage de l'exposition Elika Hedayat - Carte blanche au Festival du Film d'Animation des Villes Soeurs/ Partenariat de Pascal Neveux- Directeur du Frac Picardie

  Cette exposition est associée à la 2e édition du Festival du Film d’Animation des Villes Soeurs dans le cadre d’un par...