EVA O'LEARY / DISPOSITIF REGARDS/ CENTRE PHOTOGRAPHIQUE ROUEN / MUR ROUGE/ 11 JANVIER 2021 - 18 MARS 2021

EVA O’LEARY

Happy Valley

 

Tapez « Happy Valley » dans Google Images :

des stades de foot, des joueurs de soccer, çà et là des pom-pom girls, des stades, encore des stades, et toujours plus de joueurs.

 

Happy Valley, aussi connue sous le nom de State College, est une ville de Pennsylvanie, cet état (dont on a beaucoup parlé lors des dernières élections américaines) situé sous l’état de New York et peuplé de près de 13 millions d’habitants.

 

Figurez-vous Happy Valley comme un immense campus, organisant toute son activité économique et sociale autour de l’université Penn State. Ici, la population est à 90% blanche et pour moitié âgée de moins de 35 ans.

 

La photographe Eva O’Leary, née en 1989, d’origine irlandaise et américaine, y a passé son adolescence et c’est précisément cet environnement que, devenue artiste, elle choisit d’explorer.

Pourquoi revenir là où l’on a grandi plutôt que de  parcourir le monde ? Peut-être parce qu’on a le sentiment de n’avoir pas tout compris, ou la conviction qu’il y a encore à dire de cet endroit-là, plus et mieux que Google Images, précisément parce qu’on y a vécu.

 

En 2009, Eva avait 20 ans ; en 2009, Penn State figurait en première position au classement des «party schools», un classement d’universités basé sur les évaluations des élèves et prenant en compte la consommation d’alcool et de drogues, le nombre d’heures étudiées chaque jour en dehors des heures de cours, jusqu’à la popularité des fameuses fraternités et sororités dans l’université.

 

On peut alors facilement imaginer qu’Happy Valley fait figure de creuset, s’y retrouvent pêle-mêle, concentrés sur ce territoire enclavé (il faut rouler 3h pour atteindre une grande ville), divers états de la vie adolescente.

 

Qu’est-ce qu’être adolescente là-bas, aux États-Unis, et plus spécifiquement encore, à Happy Valley ?

 

Eva O’Leary photographie jeunes adultes et pré-adolescents et adolescentes, oscillant entre l’éclat d’une puissante lumière solaire et le lustre de peaux maquillées et huilées. Partout, jusque dans le réfrigérateur où repose une génoise flanquée d’un glaçage imprimé (une jeune femme très sucrée au brushing parfait nous regarde), le modèle absolu de beauté est là, prêt à consommer, alors pourquoi et surtout comment ne pas y céder ? 

 

Enracinée dans les souvenirs adolescents de la photographe, la série Happy Valley décrit un environnement qui s’acharne à modeler les êtres et leur corps.

Il y a, comme partout ou presque, les diktats de beauté que l’on balade dans notre poche, dans notre téléphone et ses réseaux sociaux, ceux des publicités à laquelle s’ajoute, à Happy Valley, la pression communautaire des fraternités et sororités.

Comment ne pas se préoccuper, alors, de l’image que l’on projette quand le quotidien nous inonde de selfies avantageux ? Comment avoir la force de se projeter différent.e sans s’isoler ? Comment traverser ces images et faire chemin jusqu’à soi ?

Eva O’Leary photographie ces manières d’être et de traverser l’adolescence, les différents visages qu’elle peut revêtir. Parmi ces figures, se dressent ici et là, des jeunes filles à l’orée de l’adolescence. Elles font face, affichant dans le plus simple appareil d’un visage sans rouge aux joues, ni noir aux yeux, une innocence qui fait ici figure de liberté.

 

Abordant les thèmes de l’adolescence, de la représentation de soi, et de la projection dans un imaginaire normé, l’œuvre s’ancre dans les réalités socio-politiques de l’Amérique d’aujourd’hui et plus largement de la société contemporaine.

 

Diplômée de photographie à CalArts en Californie puis à Yale, Eva O’Leary (1989) a exposé à New York, Zurich, Dublin, Amsterdam. En 2018, elle remportait le Grand Prix Photographie du Festival d’Hyères puis le prix ING Exhibition Fund à la foire Unseen à Amsterdam.

Le Centre photographique Rouen Normandie lui consacre, au cours du premier semestre 2021, une exposition réunissant photographies et vidéos. En écho à l’exposition de l’artiste américaine, le Centre photographique propose un parcours artistique* en établissement scolaire mené par l’artiste caennaise Jeanne Dubois Pacquet, accompagnée par l’écrivaine havraise Gabrielle Schaff.

* dans le cadre du dispositif d’éducation artistique et culturelle Regards, financé par la Région Normandie.

 

         Tirages pigmentaires issus de la série Happy Valley, 2014 - en cours.