mardi 28 novembre 2023

François Trocquet/ L.A. Galerie 17 novembre - 17 janvier

 Exposition présentée dans le cadre du Dispositif de De visu. Dispositif mis en place par le Rectorat de l’Académie de Normandie et la DRAC Normandie.

Plasticien vivant et travaillant au Havre, François Trocquet utilise de manière privilégiée le médium du dessin.

Son travail a été montré en France et à l’étranger. Ses œuvres font parties notamment des collections du Frac Normandie.

Ce plasticien a développé ces dernières années un travail monumental de dessin. Des dessins souvent de grands formats, réalisés jusqu’à ces toutes dernières années en utilisant comme outil simple et inhabituel dans le champ de l’art , le stylo bille.

Il a conçu un inventaire de représentations d’architectures, réalisé d’après des photographies.

Il montre notamment dans sa série sur la destruction de la cité Chicago du Havre, la transformation des architectures que l’on peut désigner comme banales, anonymes, présentes dans les périphéries des grandes agglomérations européennes, que l’on peut relier au mouvement moderne.

Un fil directeur, fil d’Ariane, autour d’un devenir ruine et de la transformation des villes l’a amené à faire un lien entre la ville de Détroit aux USA, où il est allé en résidence,  sa décadence industrielle et la ville du Havre où il habite, au cœur rasé par les bombardements en 1944.

Ses toutes dernières séries qu’il va présenter s’ouvrent vers une sur-représentation de paysages, certains inspirés des côtes de Seine-Maritime aux couleurs pop quasi -psychédéliques, où l’on ne distingue pas l’aspect nocturne ou diurne et pouvant être une représentation dystopique du futur de nos environnements naturels.

 

samedi 18 novembre 2023

François Trocquet/ EN DEVENIR RAPPORT SUR DES IMAGES ANONYMES - IN ADVANCE TO

 

EN DEVENIR

RAPPORT SUR DES IMAGES ANONYMES

IN ADVANCE TO

 

Sur les séries les plus anciennes, notamment la série Chicago ( 2020/21), on voit des représentations de bâtis architecturaux.

Que l’on peut dater de la deuxième partie du XX siècle.

Un épiphénomène de l’architecture moderniste sans spécificités architectoniques particulières.

De la même nature que celles que l’on peut trouver dans tous les espaces périphériques des grandes agglomérations européennes.

Des architectures qu’on peut qualifier de banales, mais aussi d’anonymes.

Des représentations de places, de bâtiments en démolitions.

 

Chaque dessin est réalisé avec un outil unique, un stylo à bille de couleur noire.

Commun.

Le trait est précis, la régularité dans le système graphique est constante.

Une austérité graphique habille d’un minimalisme plastique ces séries.

Des ombres et des effets limités de lumière, nous donnent à voir la volumétrie de l’édifice représenté, de la place, de l’intérieur. Les cieux sont laissés en blanc, uniformes comme dans la photographie objective de l’école de Düsseldorf.

Les espaces des fenêtres sont noires, la plupart du temps.

La vie semble s’être arrêtée.

Quasiment aucun élément anthropomorphique ne trouble la représentation qui s’apparente à ce que l’on classe dans le dessin d’architecture.

Sauf

L’édifice représenté peut, être, en état de transformation.

Un hors champ temporel nous amène à penser qu’il va passer par l’état de ruine.

Temporairement.

 

In advance…

Apparenté à in advance of the broken arm, ready-made de 1915, de Marcel Duchamp qui en suspendant une pelle à neige, questionne le devenir source accidentel de l’objet prosaïque.

Penser l’accident. L’accident comme devenir de la technique, à envisager face à des risques qui ne cessent de s’accroître, concept que l’on trouve au cœur de la pensée de Paul Virilio aussi bien au sujet de l’architecture que de l’artefact technique.

 

Les dessins de François Trocquet représentent-t-ils un état de du réel avant sa transformation, involution ou évolution?

Une chute possible, accentuée par ce cercle noir récurrent dans la plupart des dessins d’architecture. Un cercle qui peut être un soleil mais qui comme pour échapper à l’interprétation peut se retrouver sur une porte, dans un intérieur. Être déformé par la perspective et devenir motif.

Une marque de reconnaissance, un temps.

Un cercle noir qui est apparu sur ses dessins après une résidence à Détroit, la ville d’origine de la musique électro. La ville de la décadence d’un certain modèle industriel américain.

Une mélancolie qui est accentuée par cet astre noir,

inquiétant.

Qui émerge, troublant la représentation, forçant l’interprétation.

Qui donne à penser et non pas juste à voir.

Soleil noir, qui peut désigner l’aspect occulte de la connaissance dans le symbolisme.

Qui peut-être aussi le double négatif de la sphère qui ramène le prisonnier dans la série britannique éponyme aliénante de 1967. Qui, ici est à distance de l’humain mais suffit à faire nous glisser vers une grille de lecture liée à la science fiction, où plutôt à un réel-fiction.

Antinomie

François Trocquet se rapprocherait-il de René Magritte qui avec L’empire des lumières , fait coexister une représentation de maison, quoique assez anodine, avec un éclairage public, en plein jour ?

Qui a toujours questionner et remis en question la représentation, le possible glissement de sens d’une image représentée, qui invite à sortir de la caverne de Platon.

Y-a-il chez l’artiste une volonté d’attirer l’attention vers des formes architecturales banales, pour mieux nous amener autre part.

Ce que l’on regarde, c’est ce qui sera.

La représentation comme reflet, comme constat d’une époque est depuis la Renaissance au cœur des problématiques des artistes.

Mais ici, on semble être en présence, d’anticipation.

Cette forme circulaire, comme artifice du même, comme passage mental d’une image à l’autre, comme volonté d’égaliser toutes ces images en les reliant.

Ces architectures modernes qui bien que sans particularités ont défini malgré notre regard critique, notre environnement de vie .

Nous nous sommes construit, avec.

Leur ressemblance, finalement nous rassurant du peu.

Comme Howard Hugues, qui avait, dit-on des appartements dans les grandes capitales mondiales, qui étaient tous meublés de la même façon.

L’autre peut être le même.

 

Porter la forme en soi, dessins fantômes

La couleur noire est toujours utilisée de manière omniprésente dans la série d’édifices réalisés au feutre ( 2022), assimilables à des constructions réalisées en bois, à ces architectures d’édifices religieux, énigmatiques, en bois teintés de noir, que l’on retrouve en Scandinavie ou en Russie.

Des bâtiments ici, sans cultes, sans religions associées. Qui peuvent être assimilables à des baraquements de fermes américaines,

Et aussi aux espaces ruraux de proximité, que tout un chacun,

a vu, rapidement.

Qu’il a enregistrés.

Ces fermes que François Trocquet a auparavant dessinées suite à sa résidence à Détroit.

Ayant un contenu que l’on ne peut pas connaître.

La vie semble ici être donnée par l’énergie du trait.

Au minimalisme des séries comme «  Chicago », cette nouvelle série répond par un expressionnisme graphique, un arrière plan sombrement nuageux, accentuant encore l’inquiétude générée par le traitement graphique, nerveux, utilisé pour représenter ces bâtiments.

Des fantômes de bâtiments ou plutôt des chimères, des formes digérées par le cerveau et restituées, transférées sur la surface du papier.

Représentations sans références photographiques, à la différence des dessins antérieurs et dont l’artiste dira qu’elles sont venues d’un jet, avec urgence. Représentatives d’une mémoire de formes architecturales qui se devait d’être déposée sur le papier.

«  J’ai accumulé tellement de formes en travaillant sur la série Chicago, que j’ai eu l’urgence de poser sur le papier, celles-ci en utilisant les médiums de l’art urbain, l’aérosol, le feutre ».

Peut-on parler d’annonce de ruptures à venir dans ses dessins fantômes.

À contrario des nombreuses années de dessins rigoureux, sans pathos, à la facture minimale, de représentations d’architectures, directement inspirées de captures photographiques minutieuses réalisées sur site.

De membres fantômes, on parle quand un membre coupé, occasionne encore, des stimulis nerveux.

Les dessins fantômes seraient, peut-être la captation graphique des architectures disparues ou à venir ?

Pop dystopie/ expressionnisme lunaire (2022/23)

De cette transition sans référents va émerger une rupture, dans un genre, le paysage.

Une explosion de couleurs qui inonde les séries récentes réalisées à l’encre, au pinceau, libres, tirant leurs inspirations formelles des paysages naturels et côtiers de la Seine-Maritime. Tirant l’image vers un expressionnisme pop quasi lunaire.

Le pop d’une image, d’un motif, se dit de celui-ci, quand il n’a pas à être original, pour exister, quand il se sait être intégré dans les images miroirs de tous les regardeurs.

Ces falaises normandes, si souvent peintes par Gustave Courbet et les Impressionnistes au point d’être «  tombées » dans le langage plastique, d’être devenues des clichés.

Que nous dit le fait qu’un plasticien inscrit dans le champ de l’art contemporain, quasi minimal se mette au défi d’intégrer une forme géologique aussi banale dans son vocabulaire plastique ?

Que nous disent ces représentations de paysages hallucinés, quasi psychédéliques ?

Peut-on dire que François Trocquet devient un plasticien Pop du XXI, qu’il cherche par le biais de la représentation à transfigurer le banal ? D’élever au rang d’œuvre d’art des clichés.

Mais la, point d’objet ready-made, mais plutôt, une bagarre joviale et délurée, colorées, avec les motifs.

Un plaisir de peindre explose ici, une inventivité graphique et colorée définissant une traduction du réel par la liberté atteinte. Les motifs subissent des variations de composition, comme d’échelle qui semblent ne pouvoir s’arrêter.

On pense à Strindberg, Munch, mais aussi aux dernières périodes de David Hockney pour qui le changement d’outil ( Ipad) a donné l’occasion de se libérer des contraintes du médium pictural et du support papier et particularité Pop, de l’histoire de l’art.

Que faire de plus lorsque toutes les images se valent au royaume de l’incommensurable supermarché des images, omniprésentes, envahissantes via le numérique et les réseaux sociaux ?

Warhol anticipait notre présent, en annonçant, 15 mn de gloire pour toute personne, à l’ère de la reproductibilité technique  chère à Walter Benjamin.

Chez François Trocquet, tous motifs semblent pouvoir être, maintenant, objet de peinture, objet ou médium ?

 

En avance, François Trocquet, est-il ?

Ou peut-on voir,  comme dans ses représentations d’architectures avant la destruction, un lien avec les conséquences des modifications climatiques mettant en grand péril cette ligne côtières en calcaire qui accentue de façon exponentielle son recul dans ses nouvelles séries?

Mais, ici aussi, ne faut-il pas ne pas s’arrêter à ce que l’on voit, faut-il envisager le devenir de ces images, l’artiste est-il une chambre à brouillard révélant les particules invisibles du monde, celles passées mais aussi celles à venir ?

Une œuvre d’une grande cohérence plastique tenue par le courage, le travail, l’abnégation sans limites d’un grand artiste.

 

Thibault Le Forestier. 30 Octobre 2023