EN
DEVENIR
RAPPORT
SUR DES IMAGES ANONYMES
IN
ADVANCE TO
Sur les séries
les plus anciennes, notamment la série Chicago ( 2020/21), on voit des
représentations de bâtis architecturaux.
Que l’on peut
dater de la deuxième partie du XX siècle.
Un épiphénomène
de l’architecture moderniste sans spécificités architectoniques particulières.
De la même
nature que celles que l’on peut trouver dans tous les espaces périphériques des
grandes agglomérations européennes.
Des
architectures qu’on peut qualifier de banales, mais aussi d’anonymes.
Des
représentations de places, de bâtiments en démolitions.
Chaque dessin
est réalisé avec un outil unique, un stylo à bille de couleur noire.
Commun.
Le trait est
précis, la régularité dans le système graphique est constante.
Une austérité
graphique habille d’un minimalisme plastique ces séries.
Des ombres et
des effets limités de lumière, nous donnent à voir la volumétrie de l’édifice
représenté, de la place, de l’intérieur. Les cieux sont laissés en blanc,
uniformes comme dans la photographie objective de l’école de Düsseldorf.
Les espaces
des fenêtres sont noires, la plupart du temps.
La vie semble
s’être arrêtée.
Quasiment
aucun élément anthropomorphique ne trouble la représentation qui s’apparente à
ce que l’on classe dans le dessin d’architecture.
Sauf
L’édifice
représenté peut, être, en état de transformation.
Un hors champ
temporel nous amène à penser qu’il va passer par l’état de ruine.
Temporairement.
In advance…
Apparenté à in advance of the broken arm, ready-made
de 1915, de Marcel Duchamp qui en suspendant une pelle à neige, questionne le
devenir source accidentel de l’objet prosaïque.
Penser
l’accident. L’accident
comme devenir de la technique, à envisager face à des risques qui ne cessent de
s’accroître, concept que l’on trouve au cœur de la pensée de Paul Virilio aussi
bien au sujet de l’architecture que de l’artefact technique.
Les dessins de
François Trocquet représentent-t-ils un état de du réel avant sa
transformation, involution ou évolution?
Une chute possible,
accentuée par ce cercle noir récurrent dans la plupart des dessins
d’architecture. Un cercle qui peut être un soleil mais qui comme pour échapper
à l’interprétation peut se retrouver sur une porte, dans un intérieur. Être
déformé par la perspective et devenir motif.
Une marque de
reconnaissance, un temps.
Un cercle noir qui
est apparu sur ses dessins après une résidence à Détroit, la ville d’origine de
la musique électro. La ville de la décadence d’un certain modèle industriel
américain.
Une mélancolie qui
est accentuée par cet astre noir,
inquiétant.
Qui émerge, troublant
la représentation, forçant l’interprétation.
Qui donne à penser et
non pas juste à voir.
Soleil noir, qui peut
désigner l’aspect occulte de la connaissance dans le symbolisme.
Qui peut-être aussi
le double négatif de la sphère qui ramène le prisonnier dans la série
britannique éponyme aliénante de 1967. Qui, ici est à distance de l’humain mais
suffit à faire nous glisser vers une grille de lecture liée à la science fiction,
où plutôt à un réel-fiction.
Antinomie
François Trocquet se
rapprocherait-il de René Magritte qui avec L’empire
des lumières , fait coexister une représentation de maison, quoique assez
anodine, avec un éclairage public, en plein jour ?
Qui a toujours
questionner et remis en question la représentation, le possible glissement de
sens d’une image représentée, qui invite à sortir de la caverne de Platon.
Y-a-il chez l’artiste
une volonté d’attirer l’attention vers des formes architecturales banales, pour
mieux nous amener autre part.
Ce que l’on regarde,
c’est ce qui sera.
La représentation
comme reflet, comme constat d’une époque est depuis la Renaissance au cœur des
problématiques des artistes.
Mais ici, on semble
être en présence, d’anticipation.
Cette forme
circulaire, comme artifice du même, comme passage mental d’une image à l’autre,
comme volonté d’égaliser toutes ces images en les reliant.
Ces architectures
modernes qui bien que sans particularités ont défini malgré notre regard
critique, notre environnement de vie .
Nous nous sommes
construit, avec.
Leur ressemblance,
finalement nous rassurant du peu.
Comme Howard Hugues, qui
avait, dit-on des appartements dans les grandes capitales mondiales, qui
étaient tous meublés de la même façon.
L’autre peut être le
même.
Porter la forme en
soi, dessins fantômes
La couleur noire est
toujours utilisée de manière omniprésente dans la série d’édifices réalisés au
feutre ( 2022), assimilables à des constructions réalisées en bois, à ces
architectures d’édifices religieux, énigmatiques, en bois teintés de noir, que
l’on retrouve en Scandinavie ou en Russie.
Des bâtiments ici,
sans cultes, sans religions associées. Qui peuvent être assimilables à des
baraquements de fermes américaines,
Et aussi aux espaces
ruraux de proximité, que tout un chacun,
a vu, rapidement.
Qu’il a enregistrés.
Ces fermes que
François Trocquet a auparavant dessinées suite à sa résidence à Détroit.
Ayant un contenu que
l’on ne peut pas connaître.
La vie semble ici
être donnée par l’énergie du trait.
Au minimalisme des
séries comme « Chicago », cette nouvelle série répond par un
expressionnisme graphique, un arrière plan sombrement nuageux, accentuant
encore l’inquiétude générée par le traitement graphique, nerveux, utilisé pour
représenter ces bâtiments.
Des fantômes de
bâtiments ou plutôt des chimères, des formes digérées par le cerveau et
restituées, transférées sur la surface du papier.
Représentations sans
références photographiques, à la différence des dessins antérieurs et dont
l’artiste dira qu’elles sont venues d’un jet, avec urgence. Représentatives
d’une mémoire de formes architecturales qui se devait d’être déposée sur le
papier.
« J’ai accumulé tellement de formes en
travaillant sur la série Chicago, que j’ai eu l’urgence de poser sur le papier,
celles-ci en utilisant les médiums de l’art urbain, l’aérosol, le feutre ».
Peut-on parler
d’annonce de ruptures à venir dans ses dessins
fantômes.
À contrario des
nombreuses années de dessins rigoureux, sans pathos, à la facture minimale, de
représentations d’architectures, directement inspirées de captures
photographiques minutieuses réalisées sur site.
De membres fantômes,
on parle quand un membre coupé, occasionne encore, des stimulis nerveux.
Les dessins fantômes
seraient, peut-être la captation graphique des architectures disparues ou à
venir ?
Pop dystopie/
expressionnisme lunaire (2022/23)
De cette transition
sans référents va émerger une rupture, dans un genre, le paysage.
Une explosion de
couleurs qui inonde les séries récentes réalisées à l’encre, au pinceau,
libres, tirant leurs inspirations formelles des paysages naturels et côtiers de
la Seine-Maritime. Tirant l’image vers un expressionnisme pop quasi lunaire.
Le pop d’une image, d’un motif, se dit de
celui-ci, quand il n’a pas à être original, pour exister, quand il se sait être
intégré dans les images miroirs de tous les regardeurs.
Ces falaises
normandes, si souvent peintes par Gustave Courbet et les Impressionnistes au
point d’être « tombées » dans le langage plastique, d’être devenues
des clichés.
Que nous dit le fait
qu’un plasticien inscrit dans le champ de l’art contemporain, quasi minimal se
mette au défi d’intégrer une forme géologique aussi banale dans son vocabulaire
plastique ?
Que nous disent ces
représentations de paysages hallucinés, quasi psychédéliques ?
Peut-on dire que
François Trocquet devient un plasticien Pop du XXI, qu’il cherche par le biais
de la représentation à transfigurer le banal ? D’élever au rang d’œuvre
d’art des clichés.
Mais la, point
d’objet ready-made, mais plutôt, une
bagarre joviale et délurée, colorées, avec les motifs.
Un plaisir de peindre
explose ici, une inventivité graphique et colorée définissant une traduction du
réel par la liberté atteinte. Les motifs subissent des variations de composition,
comme d’échelle qui semblent ne pouvoir s’arrêter.
On pense à
Strindberg, Munch, mais aussi aux dernières périodes de David Hockney pour qui
le changement d’outil ( Ipad) a donné l’occasion de se libérer des contraintes
du médium pictural et du support papier et particularité Pop, de l’histoire de l’art.
Que faire de plus
lorsque toutes les images se valent au royaume de l’incommensurable supermarché
des images, omniprésentes, envahissantes via le numérique et les réseaux
sociaux ?
Warhol anticipait
notre présent, en annonçant, 15 mn de gloire pour toute personne, à l’ère de la reproductibilité technique chère à Walter Benjamin.
Chez François
Trocquet, tous motifs semblent pouvoir être, maintenant, objet de peinture,
objet ou médium ?
En avance, François
Trocquet, est-il ?
Ou peut-on voir, comme dans ses représentations d’architectures
avant la destruction, un lien avec les conséquences des modifications
climatiques mettant en grand péril cette ligne côtières en calcaire qui
accentue de façon exponentielle son recul dans ses nouvelles séries?
Mais, ici aussi, ne
faut-il pas ne pas s’arrêter à ce que l’on voit, faut-il envisager le devenir
de ces images, l’artiste est-il une chambre à brouillard révélant les
particules invisibles du monde, celles passées mais aussi celles à venir ?
Une œuvre d’une
grande cohérence plastique tenue par le courage, le travail, l’abnégation sans
limites d’un grand artiste.
Thibault
Le Forestier. 30 Octobre 2023