E/ ENTRETIEN
ELIKA HEDAYAT – THIBAULT LE FORESTIER
Automne 2024
Éveil et parcours de formation.
Comment se sont passées tes années de formation en Iran, à Téhéran ?
J’ai fait le lycée et la faculté à Téhéran, je suis arrivée en France après en 2004 pour entrer à l’École des beaux-Arts de Paris.
J’ai eu un baccalauréat et après j’ai fait de la communication visuelle à la faculté d’art de Téhéran.
Quand j’ai fini mes études, j’ai envoyé mon dossier qui a été retenu, avec un visa qui s’appelait un visa des concours et je suis arrivée pour passer l’entretien. Et une fois que j’ai été prise j’ai fait les cinq années et après j’ai fait le Fresnoy.
Alors qu’au départ l’idée était de finir mes études aux Beaux-Arts et de rentrer après.
La vie a fait que je suis restée.
Donc tu as d‘abord fait de la communication visuelle ?
Oui, j’ai fait du graphisme, je n’aimais pas trop mais c’est ce que j’ai fait.
A l’époque, je ne savais pas trop ce que je voulais. Je savais que je voulais faire des études artistiques.
J’aimais bien faire le dessin industriel à l’époque, maintenant, je ne vois pas pourquoi, j’ai pas été prise pour le dessin industriel à la faculté, j’ai été prise pour le deuxième choix qui était le graphisme. C’était très la mode.
En Iran c’était très à la mode ?
A ce moment-là, oui.
Avant l’université, les cycles du second degré en Iran, sont identiques ?
Oui, et moi j’ai un baccalauréat scientifique.
Est-ce que c’est comme en France, ce sont les mêmes cycles : de trois ans pour le lycée, et de quatre pour le collège ?
Oui maintenant mais à mon époque c’était trois ans de collège, trois ans de lycée et un an de prépa.
Pour tous les étudiants ?
Oui, c’était une nouvelle réforme quand je suis entrée au lycée.
Est-ce qu’il y avait un enseignement de domaines de la création au lycée ?
Bien sûr, dans les lycées professionnels, il y a arts plastiques, théâtre, cinéma, musique, conservatoire
Mais est-il courant que les élèves de lycée fassent des études artistiques ou ce sont plutôt des niches?
Quand moi je faisais mes études et que j’étais au lycée, on disait surtout que c’étaient les mauvais élèves qui allaient au lycée professionnel artistique, alors que, aujourd’hui, cela a tout à fait changé, les lycées artistiques à Téhéran ont beaucoup plus de succès aujourd’hui. Les élèves qui veulent vraiment faire des métiers artistiques commencent dès le lycée, nous étions un peu jaloux, nous qui faisions les bacs scientifiques car on n’avait pas la même liberté, créativité, c’était beaucoup plus sympa chez eux que chez nous.
Vous n’aviez rien fait d’artistique au lycée ?
C’est cela, mais j’ai grandi dans une famille d’artistes, mon père était metteur en scène, ma mère, marionnettiste. J’ai grandi dans le milieu du théâtre, j’ai commencé à faire de la musique à partir de dix ans et quand je suis arrivée à la faculté où je devais faire les études de communication visuelle, je faisais des accompagnements avec la faculté de musique, je faisais du piano et d’ailleurs le directeur m’a proposé de changer et de faire la faculté de musique.
Mais je n’ai pas fait ce choix, de la musique, j’en avais fait depuis l’âge de dix ans et je pensais que je n’avais pas besoin de faire des études. J’ai donc continué le graphisme, j’ai fini le cycle et à la fin on avait des cours d’animation, c’était juste un cours d’animation en quatre ans de communication visuelle. Et là je me suis dis, mais en fait, c’est ça que j’ai envie de faire. Et pour mon projet de fin d’études, j’ai fait un film d’animation, qui n’était pas du tout obligatoire, à côté des demandes en graphisme, c’était pour mon propre plaisir.
J’ai fini mes études et après j’ai décidé de continuer en France et j’ai envoyé un dossier à l’école nationale des Beaux-Arts de Paris.
J’ai été prise.
Cela va peut-être choquant ce que je vais vous dire, mais on n’a pas l’impression que vous parlez de l’Iran. En France, ce n’est pas du tout la perception que l’on a de l’Iran. On a plutôt la sensation d’un pays violent, qui opprime ses habitants.
Ce n’est pas faux, car on a un régime autoritaire, la république islamique est un système politique dictatorial, c’est très dur, on a beaucoup de pression, il y a le voile obligatoire, j’ai fait douze ans d’éducation nationale en portant le voile, mais il y a une chose que l’on ne connaît pas de l’Iran, c’est la deuxième face, c’est la vie clandestine, la vie chez les gens, car ce que l’on voit dans les médias, ça fait partie de l’Iran, mais ce n’est pas tout l’Iran.
On le voit un peu dans le cinéma contemporain ?
Oui, un peu aussi, mais pas encore assez, car pour le cinéma qui sort d’Iran, on montre les femmes voilées quand elles sont chez elles. Là depuis le mouvement Femme, vie, liberté, il y a des cinéastes qui refusent de montrer cela. Il y a des cinéastes officiels qui ont décidé de ne plus montrer les femmes voilées même au lit ou dans la salle de bain, ils ont décidé de faire des films sans autorisations avec tous les risques que cela entraine.
Mais jusqu’à maintenant tous les produits culturels qui sortent d’Iran ne donnent jamais une vraie image de ce qui s’y passe.
Sauf les réalisateurs qui tournent en dehors de l’Iran ?
Ils sont rares mais ils sont de plus en plus nombreux. Jusqu’à il y a dix ans, personne n’osait le faire.
Les femmes sans voiles, c’est vraiment depuis deux ans, depuis le mouvement Femme, vie, liberté. Depuis que les femmes ont osé retirer le voile, il y a des actrices qui ont suivies, qui ont été même en prison.
Et là même philosophiquement, il y a de nombreuses personnes qui ont dit stop, on ne peut pas ignorer ce courage. Il faut que l’on suive.
Donc il y a des réalisateurs qui ont décidé de faire des films sans voiles.
Car même les films qui étaient faits sans autorisations, essayaient de respecter certaines règles, pour pouvoir ne pas se retrouver en prison.
Car c’est la loi, même les Françaises qui vont en Iran, les touristes, doivent porter le voile.
Pour parler de votre travail, maintenant, vous avez travaillé sur des médiums très différents ? Vous avez fait du graphisme, dans vos œuvres, il y a du dessin, de la peinture, des objets, des sculptures, des films d’animation.
Il y a aussi des films documentaires, j’ai fait des courts et un long qui s’appelle TAN en 2017- qui veut dire le corps en persan.
Et ce documentaire, vous l’avez tourné en Iran ?
Oui, mais sans autorisation…le tournage s’est déroulé entre 2013 et 2016.
Vous avez une totale liberté de circulation ?
Moi, personnellement oui, en ce moment, mais j’ai subi des interrogatoires, car j’étais sur une black list, à cause de la diffusion de mes films sur la chaîne de la BBC Persian, qui est une chaîne d’opposition en Iran. Mais pendant longtemps tous les Iraniens envoyaient leurs films car il y avait une émission de documentaires qui était très regardée. Mais, à un moment il y a eu un documentaire sur le guide suprême (dirigeant religieux de l’Iran), tout le monde se demandait d’où provenait ce film. Ils ont commencé à faire des investigations, emprisonner des producteurs, diffuseurs, fait une série d’interrogatoires avec les artistes et ils ont publié une liste avec les noms des réalisateurs qui ont été diffusés sur la BBC comme quoi, ils étaient des espions.
Je ne suis pas allée en Iran pendant trois ans, et quand j’y suis allée, c’était déjà la fin, les gens avaient fait leurs « entretiens », on appelle entretiens les interrogatoires et je savais qu’en allant en Iran, j’allais quand même être convoquée et effectivement à l’aéroport j’ai été convoquée à un entretien, j’en ai fait deux et depuis quand je fais des expositions à Téhéran, je sais qu’il y a toujours quelqu’un qui vient surveiller un peu pour voir ce que je fais.
Auparavant, j’allais tout le temps en Iran, une à deux fois par an. Par contre là, cela fait 6 ans que je ne suis pas rentrée. J’ai eu un enfant, il y a eu le covid, un blocage de trois ans, on devait y aller mais ils ont pris deux Français en ôtage, c’était compliqué, mon mari est français. Après il y a eu le mouvement Femme, vie, liberté et on disait que pour ceux qui avaient la double nationalité, il ne fallait pas y aller et j’ai enfin pris un billet pour amener ma fille pendant les vacances lui montrer mon pays et le conflit avec Israël monte en intensité et m’empêche de partir !
Pour revenir à votre formation supérieure, vous avec fait l’ENSBA à Paris, donc vous avez envoyé un dossier et vous vous êtes déplacée après pour passer l’entretien ?
En fait, je ne connaissais pas vraiment le système des grandes écoles en France.
Je regardais la Sorbonne et j’avais un ami architecte qui avait grandi en France et qui était rentré vivre en Iran pendant quelques années, c’est comme cela que je l’ai rencontré et il m’a dit mais pourquoi tu ne postules pas à l’école des Beaux-Arts ? Je la connaissais de nom, mais qu’il y avait tout un système de concours et que c’était séparé des universités je ne le savais pas.
Il m’a aidé à corriger à améliorer mon dossier.
Alors la particularité des Beaux-Arts de Paris est que chaque atelier est lié à un artiste ? De plus cette école est la seule à avoir conservé cette dénomination Ecole des Beaux-Arts. Dans les autres villes en France ce sont des écoles d’art. Et vous êtes allée dans quel atelier ?
Avec Annette Messager ! Et là aussi, c’était un grande surprise : à Téhéran en communication visuelle, c’était très carré, on avait des devoirs, j’arrive dans une école où c’est la liberté absolue au niveau des projets, moi, j’attendais que l’on me dise de faire quelque chose et je comprends au fur et à mesure que je dois rencontrer les artistes dans leurs ateliers et c’est comme cela que je suis allée voir Annette Messager. J’avais fait une vidéo avant de partir de Téhéran, qui avait été tournée au musée de tapis où j’avais fait des scènes d’animation devant les tapis, c’était très théâtral. Je lui ai montré ce projet et elle m’a dit, vas-y viens, tu peux rester dans mon atelier. J’ai fait toutes mes études dans son atelier, elle a suivi mon travail.
L’année où elle a fait la Biennale de Venise et où elle a eu le grand prix, j’étais dans son atelier. Et on a fait un voyage pour aller voir son exposition grâce à l’école.
En fait, je suis rentrée à la fin de la deuxième année à l’ENSBA, j’avais une équivalence.
Et une fois que j’ai fini l’école, il y a eu une exposition des étudiants félicités, ce qui est mon cas, au Quai Malaquais (lieu d’exposition de l’ENSBA qui se trouve au bord de Seine, en face du musée du Louvre), il y a un grand espace et j’ai eu un prix, un prix des assurances des œuvres d’art qui permettait de faire une exposition à la Maison Rouge qui était ouverte à l’époque ( La fondation du collectionneur Antoine de Galbert s’appelait la Maison rouge de 2004 à 2018 et se situait près de la place de la Bastille à Paris).
Et Aline Vidal, ma galeriste actuelle m’a découverte dans cette exposition et m’a proposé de travailler avec elle et de montrer mon travail notamment au salon du dessin (Drawning now). Chez moi à l’époque, le dessin était une pratique très intime, j’en faisais mais c’était des dessins préparatoires, je ne faisais pas de peinture.
J’étais aux Beaux-Arts pour faire des films et le dessin c’était à l’époque tellement intime que je les faisais recto-verso, ce n’était pas fait pour être accroché, c’était au mieux scanné pour être mis sur un blog.
Et elle m’a dit, j’aimerais bien montrer vos dessins et à l’époque je partais en Iran pour une série de manifestations et je lui ai dit, j’y vais et je vais faire des dessins et c’est comme cela qu’on a commencé à travailler ensemble à partir de ce moment la.
C’était en 2009/ 2010 que l’on s’est rencontré avant d’aller à l’école du Fresnoy.
L’école du Fresnoy c’est la plus grande école d’Europe consacrée à l’art vidéo, qui se trouve à Tourcoing ?
C’est un lieu où le cinéma et l’art contemporain se croisent, c’est un lieu où les artistes en art contemporain qui s’intéressent aux nouveaux médias peuvent expérimenter des choses. Ce n’est pas tout à fait une école, c’est entre école et résidence. Et j’y suis restée deux ans. Un an après être sortie des Beaux-Arts de Paris. C’est près de Lille.
Pour reparler de votre formation en communication, que l’on appelle maintenant Design Graphique, est-ce qu’il y a des formes de censure sur les expressions graphiques en Iran, sur ce que l’on peut faire ou ne pas faire ?
L’art graphique est assez important en Iran, on a une biennale de graphisme, des graphistes reconnus internationalement qui font un travail remarquable. La censure est partout, mais on sait ce que l’on ne doit pas faire, on ne va pas mettre une personne nue sur l’affiche par exemple, aucun graphiste ne le fait. On est beaucoup dans l’autocensure. On connaît les codes. On essaye de suivre en fonction de cela. Un souvenir de l’université, qui montre que leur système ne fonctionne plus, car aujourd’hui, on a internet, les réseaux sociaux, nous à l’époque, pour nous nourrir artistiquement, il y avait la faculté d’art, qui était assez bien achalandée, mais les livres étaient censurés, était gommés, les nus étaient gommés, même dans les ouvrages étrangers, littéralement ces images étaient gommées.
Aujourd’hui, même s’ils font cela, les étudiants ne font plus leurs recherches dans les bibliothèques, ils vont sur internet. Le monde est beaucoup plus ouvert.
Mais quelque part on dit que lorsqu’on veut avoir de belles roses, il faut les tailler, les contraintes amènent d’autres formes de créativité.
Oui, c’est un peu cela.
Dans votre travail, on voit que progressivement les modes de représentation architecturaux prennent de plus en plus de place, on peut envisager cela comme une hybridation entre les deux cultures.
Ça a une histoire un peu particulière, car lorsque j’ai commencé à prendre au sérieux mon travail de dessin, j’ai été inspirée par différentes formes d’art, à la fois occidentales et orientales, par exemple, il y a quelque chose que l’on appelle les illustrations de café-théâtre, qui existent en Iran depuis 200 ans. Cela se passait dans les cafés, un narrateur se mettait devant de très grandes illustrations, des rideaux carrément, et racontait des histoires en chantant en montrant les personnages. Et aujourd’hui ces tableaux, ces illustrations sont gardées dans un musée, elles sont assez impressionnantes. Il y a des personnages énormes à côté de tout petits. C’est vraiment très intéressant comme univers. C’est quelque chose dans l’art populaire iranien qui m’avait vraiment inspirée.
Après j’ai été très inspirée par la peinture flamande de la Renaissance.
Il y avait une hybridité dans mon travail au début, où l’homme et l’animal, la plante se mélangeaient, fusionnaient, il n’y avait pas d’architecture, c’était surtout très organique. Au fur et à mesure, j’ai fais des recherches qui m’ont ramenée vers une idée d’architecture, l’espace est devenu plus important. Car j’ai commencé à m’intéresser à un domaine que je ne connaissais pas avant, qui n’était pas forcément inspirant pour moi, mais qui l’est devenu, c’était la science-fiction. Mais surtout la science fiction des écrivains féministes, comme Ursula Le Guin et c’est à ce moment la que la notion de paysage et l’hybridité entre les personnages, les personnes et les animaux avec le monde qui les entoure est devenu quelque chose d’important, j’ai commencé à m’intéresser à cela, j’ai commencé à aussi vouloir créer des hybridités entre personnage, architecture et espace organique d’environnement, par exemple pour les pièces exposées à L.A. Galerie, on a une espèce de mosquée, une espèce de grotte avec des portes d’entrée et pour moi c’est deux systèmes qui cohabitent, c’est la partie clandestine dont je vous parlais, de ces gens-là, qui n’ont pas accès au pouvoir, en haut sur le dessin, cet espèce de temple, c’est le pouvoir. On ne voit pas qui est dedans mais on peut voir cette dualité entre les deux mondes.
De fait l’architecture a pris progressivement sa place dans mon travail.
Une architecture organique, qui vue de notre point de vue se rapproche de celle des bunkers, quelque chose de très aveugle, de très sourd. Il y a des systèmes de circulation entre les personnages ou pas, d’ailleurs ?
Au départ dans votre travail, il y avait des fusions entre les personnages et l’espace environnant avec des personnages mutants, au fur et à mesure, il y a une distinction avec des êtres humains qui sont de plus en plus réalistes, l’espace devient comme une scène de théâtre, il y a une espèce de détachement entre les deux.
Il y a une sorte de détachement car il y a une structure qui se rajoute, une structure architecturale, avant c’était les personnages mêmes qui créaient le paysage, c’est-à-dire qu’il y avait juste un monde lié, tout était lié, tout se mangeait, se dévorait, se vomissait etc. alors que là, je suis beaucoup plus dans une séparation de ces éléments, tout en étant en symbiose, en même temps.
On peut dire que c’est moins écorché, moins expressionniste ?
Oui, après, je ne sais pas, cela peut bouger, cela bouge tous le temps.
Vous parliez de la culture iranienne mais je crois que la culture perse c’est une des seules cultures où il y a eu une persistance de la représentation figurative à la différence des autres cultures du Maghreb avec les miniatures persanes.
Il y a eu des moments où la représentation est devenue interdite mais cela n’a pas tenu longtemps. L’Iran avant de devenir musulman avait toutes sortes d’influences chinoise, mongole, turque.
Cela a toujours été une contrée de différentes cultures, de commerce, de circulation des biens et des personnes ?
Oui, bien sûr, et du coup c’est une culture qui est très diverse, il y a toutes sortes de cultures arrivées qui se mélangent et qui s’hybrident avec la culture locale et qui devient quelque chose d’autre.
Et le fait qu’il y ait une république islamique depuis plus de 50 ans, la circulation se fait moins, je suppose ?
Oui, car quand je vous parle de cette circulation, cela date de très très longtemps. On a aujourd’hui des ethnies différentes qui cohabitent ensemble. On a aujourd’hui en Iran des régions kurde, turque, mazandarani, dans le Sud, on a les Baloutches, les Arabes, on a des sunnites, des chrétiens d’origine arménienne, il y a de tout.
Et tout cela habite bien dans le meilleur des mondes ?
Disons qu’aujourd’hui, avec le système politique que l’on a, ce n’est pas évident. Mais la culture résiste.
Il y a eu une volonté d’effacer les différences culturelles en Iran comme il y a eu en France la volonté d’effacer les cultures et langues régionales jusqu’au années 70 en France ?
Bien sûr, il y a eu une volonté de la part du régime islamique, mais les Iraniens ont résisté. Ils ont toujours résisté, il y a eu beaucoup d’invasions dans l’empire Perse, mais il y a eu toujours une résistance et une envie de s’approprier la culture de l’autre qui arrive, et d’en faire quelque chose avec sa propre culture. Ça a toujours existé et cela a continué après la révolution.
Il a peut-être l’idée, qu’ils sont la mais qu’ils finiront pas passer car l’Iran à une culture plurimillénaire ?
C’est cela.
Et donc, comment cela se passait, vous quand vous étiez en Iran ? Sur la possibilité de vous informer sur l’art contemporain ? Est-ce que c’était facile ?
Non, à l’époque, il n’y avait pas encore internet, dans les années 2000 et après, même sans que cela soit filtré, la connexion était très faible. Cela ne représentait encore rien pour les autorités. L’information venait des livres, des gens qui venaient de l’extérieur. Mais aussi les archives, les vidéos, les cassettes VHS, ont essayait de se nourrir comme cela. Evidemment c’était beaucoup plus difficile, mais aussi les professeurs de l’Université essayaient d’être informés. On faisait ce que l’on pouvait avec nos moyens. Mais à partir du moment où internet s’est démocratisé, tout le monde y a eu accès, cela a changé complétement.
Mais même quand je suis arrivé en France en 2004, ce n’était que le début d’internet, aujourd’hui, si vous allez dans les facultés ou les lycée d’arts en Iran, les étudiants sont très informés. Vous ne voyez plus la différence, même dans un autre domaine qui est les codes vestimentaires, tout ressemble à l’Occident, à part le port du voile à l’extérieur. Alors que pour nous dans mes années de lycée et à la faculté, la différence était très forte avec l’Occident. Malgré tout l’effort du système politique autoritaire, la culture est arrivée en Iran. La culture venue d’ailleurs.
Avez-vous des artistes contemporains, à part Annette Messager qui ont eu une influence sur votre travail ?
J’étais assez tôt très intéressée par le travail de William Kentridge à une époque où il n’était pas encore la star qu’il est devenu.
C’était la période des premiers films d’animation en lien avec l’apartheid et les mines ?
Oui, je l’ai découvert à la bibliothèque des Beaux-Arts de Paris où je passais des heures à regarder son travail, j’étais fascinée. Je peux citer aussi Christian Boltanski, qui m’a inspirée. Et c’est vrai qu’à partir du moment où je suis arrivée en France j’ai pris l’habitude de fréquenter les musées et les expositions.
On a des artistes qui nous intéressent un moment, mais après le travail évolue et on s’intéresse à quelqu’un d’autre. Du coup quand on me pose la question, je n’aurais pas de noms qui viennent automatiquement. C’est une influence sur un ensemble, en fait.
Oui, de la même manière si on vous demande de distinguer la part de votre travail en lien avec la culture iranienne et celle en rapport avec la culture occidentale, c’est complexe. Cela met donc un élément en plus pour comprendre les différentes strates constitutives de votre œuvre.
Est-ce que ce n’est pas la qualité de votre travail de ne pas avoir d’identité particulière ?
J’espère bien, en tous les cas, c’est le souhait que j’ai. Avec ma double culture, j’aimerais créer quelque chose de mixte. Je n’ai pas envie que l’on me labellise, regardez c’est l’artiste iranienne !
On pourrait vous dire que vous représentez les femmes iraniennes, que vous êtes militantes, alors que la raison, n’est pas forcément celle-là ?
Je peux vous donner un exemple, sur un projet sur lequel je travaille qui est la suite de la série des Dépossédés, qui est aussi inspirée de la science-fiction, aussi de certaines philosophes comme Donna Haraway, Vinciane Despret, tous ces penseurs qui parlent de monde hybride, je parle de ces idées-là mais il y a aussi un lien avec de la littérature perse, que j’ai découverte par hasard grâce à mes recherches, dans la littérature des XI et XII siècles, on parle d’une ville qui s’appelle Haroum. C’était une ville habitée et gérée par des femmes savantes. C’est un peu comme les amazones, sauf que c’est beaucoup plus des intellectuelles et moins des guerrières. Et du coup, dans mon idée, car là je suis au stade de l’écriture de projet. Je tisse ces deux mondes et il arrive un moment où tous ces éléments forment une hybridité qui m’intéresse entre des mondes artistiques très différents.
Je me nourris toujours de références très variées. Mon inspiration est aussi très hybride.
Dans l’exposition à L.A Galerie
Dans cette exposition il y a deux dessins inspirés de l’univers de science-fiction d’Ursula Le Guin, une vidéo réalisée à Senarpont, en lien avec l’arbre à Loques, qui se trouve près de chez vous (5 km de Blangy sur Bresle) et deux écrans avec une compilation de vidéos d’animation et une vidéo de la série des Dépossédés en boucle.
Pour reparler des dessins, vous pouvez voir des ajouts de chevelure naturelle, cela a un lien avec le mouvement Femme, vie et liberté où des femmes ont retiré leurs voiles, la chevelure naturelle est entrée dans mon travail à ce moment-là. J’ai essayé de travailler avec des cheveux, qui deviennent en soi des personnages de mon travail. Les cheveux en soi deviennent comme des parasites qui envahissent, qui s’imposent, qui essayent de chercher leur liberté.
C’est une architecture inventée où elle s’inspire d’architectures existantes ?
Non, c’est l’architecture d’une mosquée que j’ai un peu modifiée.
Le fait que l’on ait la sensation que c’est une île, c’est lié à quoi ?
C’est en lien avec ce livre d’Ursula le Guin (Les dépossédés, 1974) où l’on découvre des fonctionnements de sociétés toujours au travers d’un missionnaire qui va explorer une planète avec une société nouvelle qu’il va nous décrire et que l’on va être amené à connaître, où les identités de genre, notamment, sont remises en question et donc pour moi, c’est ce qui m’a donné envie de travailler avec cet univers, je m’identifie avec ce personnage de missionnaire qui n’est jamais ni complétement dedans ni complétement dehors. Aujourd’hui je suis étrangère en France et je suis aussi étrangère en Iran puisque cela fait vingt que je n’y vis plus. Et de fait l’idée d’avoir un recul et de voir de loin un environnement c’était quelque chose qui était important. Dans cette série on a beaucoup de vues de loin et d’ailleurs dans la scénographie de l’exposition que j’ai faite à Malakoff (Centre d’art contemporain 2023, exposition Les dépossédés) on commençait par un dessin mural avec une sorte de galaxie.
https://www.alinevidal.com/artists/3/elika-hedayat?locale=fr
Chaque planète avait la forme d’une cellule et à l’intérieur il y avait des petits personnages, comme si chaque individu était dans une planète. Dans la scénographie de mon travail, il y a toujours un côté cinématographique, c’est comme si avec la caméra, on s’éloignait ou on s’approchait, les personnages étaient un peu étranges, défigurés et quand on s’approchait on montait à l’étage où il y avait des peintures plus réalistes, où c’était des personnages qui nous ressemblaient, c’est comme si on vivait dans un monde un peu surréaliste, avec ce qu’on vit actuellement on peut dire que l’on est pas loin.
Et le terme de dépossédés ?
C’est le titre d’un livre d’Ursula Le Guin, deux autres livres m’ont inspiré pour cette exposition, la main gauche de la nuit ( 1971) et le nom du monde est forêt ( 1975), trois romans de science-fiction.
Elle est de quelle origine Ursula Le Guin ?
Elle est américaine, elle est très connue là-bas et elle commence à être connue en France pour ceux qui connaissent le monde de la science-fiction, c’est aussi une référence de nombreux philosophes contemporains, elle a une vision assez intéressante de la société en évolution, Les dépossédés plus particulièrement a un lien avec mes propres vécus, toutes ces personnes qui ont été dépossédées de tout ce qu’ils avaient et qu’ils essayent de récupérer.
Les dépossédés, ce n’est pas que la diaspora mais c’est aussi ceux qui sont restés et qui ont la sensation qu’on leur a pris quelque chose ?
Tout a fait, c’est surtout cela d’ailleurs.
Et ces cheveux alors associés aux dessins ?
C’est de vrais cheveux que j’ai achetés.
Et qu’est ce que cela vous apporte d’utiliser des matériaux ?
Alors c’est très intéressant, surtout pour la chevelure, car j’ai vraiment l’impression que c’est vivant, quand je les ai installés, je mets la chevelure et cela me met dans une position où cela crée un dialogue, qu’il y a un côté vraiment organique, vivant qui était assez impressionnant pour moi.
Du coup la vidéo qui fait aussi partie de la série des Dépossédés, qui est celle que j’ai filmée à Sernapont, qui lui donne son nom. C’est aussi le nom d’un petit village, dans la Somme, dans ce village, il y a un endroit que l’on appelle la chapelle Saint Claude, qui est à la lisière de la forêt. C’est un endroit où il y a une sculpture d’arbre à loques qui est installée depuis très très longtemps, on dit que lorsque l’épidémie de la peste est arrivée en France, elle s’est arrêtée à Senarpont (1499), et depuis des gens accrochent les tissus de gens malades pour demander leur guérison en faisant un endroit magique. Et avec Pascal Neveux ( directeur du Frac Picardie) on est allé visiter cet endroit, il m’a dit, est-ce que tu as envie de faire quelque chose, de proposer une pièce par rapport à ce lieu et j’étais assez étonnée, nous on a la même culture en Iran et c’est pareil, on fait des nœuds avec des bouts de tissus pour demander la guérison. Quand on s’approche au départ, quand on voit le lieu, on a l’impression que c’est une espèce de déchèterie, car c’est du tissu un peu sale, un peu partout, et quand on regardait cela, je me disais que c’était impressionnant car l’homme essaye de s’accrocher encore à la nature et de demander des guérisons, car il croit encore aux miracles de la nature mais en même temps, il est en train de la détruire et cela m’a fait penser à un livre d’Ursula Le Guin qui est Le nom du monde est la forêt et j’ai dit : j’ai envie de faire quelque chose, proposer une pièce, pour ce lieu, pour cette exposition les Dépossédés et j’ai écrit un récit qui est inspiré du roman. Dans celui-ci, il y a la population des gens de la terre qui vont exploiter une planète et ses sources naturelles, qui vont détruire la vie des indigènes, les Athshéens sur celle-ci. Certains indigènes de cette planète ont dit que ce sont des revors, c’est-à-dire que ce sont des personnes qui ont la capacité d’avoir une relation avec la nature, de comprendre les signes et de fait, j’ai écrit un texte, une sorte de conversation entre un personnage qui est un revor et quelqu’un qui vient du monde réel. Et le personnage du revor est en train de dire à l’autre : « c’est vous qui êtes menacés, ce n’est pas nous, nous allons vous rendre à la forêt ». Alors Le nom du monde est la forêt, car cette planète, elle s’appelle la forêt, et c’est cela qui m’a donné l’idée de travailler sur cela. Et de fait, je n’ai pas voulu mettre une voix, une narration, je ne voulais pas donner une identité à ce nouveau personnage, et j’ai fait ces dessins sur un fond blanc comme si l’on lisait le livre et en même temps on voyageait dans ce monde entre le rêve et la réalité.
Car le rêve peut-être considéré comme le dernier espace de liberté encore ?
Je pense, oui.
Et c’est étonnant, dans le roman, ce n’est pas traité dans ce sens, être revor c’est être en pleine relation intense et intime avec l’environnement, ce sont des personnages qui arrivent à comprendre et à percevoir les signes des menaces que leur planète est en train de subir.
Et le fait que ayez été amenée à venir à Senarpont, c’est par les aléas de la vie en fait ?
Disons que, quand il a été nommé en Picardie, Pascal Neveux a découvert ce lieu, que peu de personnes connaissent et quand il m’a proposé ce lieu, en fait, cela correspondait tout à fait à ce sur lequel, j’étais en train de travailler.
Le son de vos vidéos, est-ce vous qui le composez ?
Oui quasiment tous les sons c’est moi qui les compose, pour deux vidéos, j’ai demandé à un compositeur de collaborer avec moi, puisque je fais de la musique depuis longtemps, j’avais envie de lier ces deux compétences. Quand j’ai quitté l’Iran pour venir m’installer en France, je jouais du piano, je me suis dis que je ne pourrais pas le prendre et je me suis mis à apprendre l’oud, qui est un instrument portable. Un instrument oriental qui ressemble au luth. Et comme j’avais envie de continuer à faire de la musique, je me suis dis pourquoi pas marier la création sonore avec l’animation. Je suis une artiste pluridisciplinaire et j’aimerais continuer à explorer des projets utilisant l’exploration du son.
Et ce qui est étonnant dans ce que vous dites et qu’à l’origine, votre médium de prédilection était le film d’animation et le dessin est venu après et quand on voit vos films d’animation, c’est vrai que de prime abord on ne sait pas si le dessin était avant, est-ce que c’est des prolongements du dessin, il y a dans les films des éléments qui sont dans le dessin qui sont animés.
Oui, ce que je fais c’est un dessin en mouvement, plus que du film d’animation traditionnel. Un dessin qui prend vie. D’ailleurs l’animation a été traduite en persan comme « pouyonamohi » qui veut dire donner vie, donner mouvement et d’ailleurs quand on regarde mes vidéos ce ne sont pas des films, c’est comme si j’imaginais un dessin mais celui-ci, il bouge.
On peut rebondir sur l’aspect vital du cheveu, celui-ci n’est jamais vraiment mort. Est-ce les seules séries de dessins où il y a des éléments organiques?
Il y a d’autres dessins et il y a normalement deux vidéos d’animation qui accompagnent ces dessins, qui ont été faites avec cette technique. Qui ont été animés avec des cheveux. D’ailleurs, elle fait partie de la compilation présentée ici.
Ces animations sont elles faites avec le logiciel After effects ?
Oui, celles-ci ont été faites avec After effects, mais je ne l’utilise pas toujours, par exemple les vidéos en lien avec les dessins présentés ce sont des films réalisés avec TV paint qui permet de créer des dessins image par image, c’est comme ci on faisait le dessin animé traditionnel, avec une tablette. En fait, cela m’intéresse beaucoup plus d’animer image par image que de faire bouger les éléments sur After effects, même si je l’utilise.
Je pense que l’importance du travail manuel va encore s’accentuer dans le futur. Avec l’l.A on peut produire énormément de choses, très variées. Je n’ai rien contre, mais le travail manuel va devenir un travail de luxe, avec le nombre de productions numériques, avec l’I.A, à mon avis, essayer des choses mécaniquement, cela va avoir une grande valeur ajoutée.
Pour vous rassurer, les élèves ici préfèrent faire, fabriquer, que d’utiliser les ordinateurs. L’ordinateur vient en bout de chaine.
Mais c’est très bien de l’utiliser, moi, je l’utilise tous le temps.
Mais je pense qu’il y a une expérimentation, disons accidentelle dans le travail manuel, qui est très intéressante et qui enrichit. Moi cela me manque quand je ne l’utilise pas. Au bout d’un moment sur l’ordinateur, j’en ai assez, j’ai envie de retrouver les pinceaux. De fait dans certains de mes films, il y a des techniques assez variées. Pour certains de mes films (Sans titre, série Tan, 2016) au centre, j’ai utilisé l’animation au sable j’ai utilisé une table lumineuse, j’ai mis du sable et j’ai animé le sable, manuellement. Et j’ai photographié image par image. J’ai dessiné avec du sable.
Et il y a du sable et de l’encre ?
Non, il n’y a que du sable, quand je veux une valeur plus foncée, je concentre plus le sable, on crée le dégradé de cette façon, et là à gauche, c’est de la peinture sur vitre, sur laquelle j’ai mis en arrière plan la vidéo d’un aquarium. Donc il n’y pas à chaque fois, du dessin images par images. Ce film avec ce tryptique était présenté dans le film documentaire Tan. Mes modèles vivants vont devenir des éléments dans le film d’animation.
Dans les peintures récentes, les modèles qui posent, ceux sont des gens que vous connaissez ?
Oui c’est des gens de mon entourage. Pareil pour la série des dépossédés, ce sont des gens que je connaissais. Il y a un lien entre le portrait que je faisais et eux-mêmes. Il y un côté un peu documentaire. Dans d’autres films j’ai utilisé la technique de la rotoscopie, j’ai filmé quelqu’un et j’ai fait l’animation dessus, à partir des images du film. J’ai dessiné sur le film. Cette série de trois films s’appelle Du pain et des jeux, Panem et circenses, en 2019. Qui fait référence à une satire, tiré de Juvénal (écrite entre 90 et 127 apr.J-C), la satire N°10. Qui parle de la société romaine après la République, qui est obsédée par le pain et les divertissements, et qui oublie les droits.
Cela nous rappelle l’époque actuelle…
Cette série-là était très politique, d’autant plus qu’à l’époque de sa création, il y avait Trump qui sortait des accords nucléaires avec l’Iran, il avait été élu et là on voit le protocole entre Trump et Kim Jong-un et du coup j’ai pris, une vidéo que j’ai retravaillé un peu (photo call, 2019).
Vos œuvres actuelles sont-elles moins politiques actuellement ?
Si, cela reste politique, peut-être moins directement, en lien avec l’actualité.
Est-ce du au fait que le film d’animation est un travail artistique qui est lié au temps long du fait des techniques utilisées ?
C’est la pratique artistique qui demande beaucoup de patience.
Surtout quand c’est un film avec une équipe, moi je fais tout toute seule, c’est des vidéos souvent très très courtes, 30 secondes, 1 minute.
Dans vos vidéos il y a des éléments peints avec des superpositions de calques ?
Oui de la vraie peinture, pas de la peinture numérique. J’ai toujours associé les deux, il y a un côté bricolage que j’aime bien.
Et comme vous disiez, mettre en valeur la qualité de l’accident, du hasard qui peut arriver.
Dans la vidéo Mutations, qui est entre Panem et Les dépossédés, on peut voir cela.
Pour revenir à l’I.A, est-ce que vous la considérez comme un concurrent ?
Non, c’est un médium, c’est vous qui devez avoir le contrôle sur ce que vous faites. Comment on utilise l’I.A pour mettre en valeur nos idées. A chaque arrivée de nouvelles techniques on pense que cela va détruire la précédente, l’arrivée de la photographie devait tuer la peinture etc…Mais en fait, rien ne disparaît et rien ne remplace rien.
Le seul danger pour les auteurs est l’appropriation de leurs réalisations sans payer des droits ?
Oui, c’est vrai et pour l’instant ce que l’on fait avec l’I.A c’est encore très limité. D’ailleurs on voit tout de suite que cela a été fait avec l’I.A pour l’instant. Mais cela va évoluer. Et il faut utiliser la symbiose, l’hybridité entre art et mécanique, numérique. Il faut utiliser tout cela pour créer. Mais la création est avant tout pourquoi, comment vous voulez dire ce que vous voulez dire. C’est cela qui compte. L’I.A est un outil, à côté du crayon, du collage. Nous aussi on a l’intelligence de comprendre comment utiliser l’outil. Au départ on va être impressionné par l’outil, mais notre cerveau à la capacité d’évoluer, de trouver des idées.
Dans cette vidéo j’ai utilisé le logiciel Procreate, sur ipad, pour faire de l’animation (Abyssal monologue, 2020), ça c’était presque une commande pour la salle de théâtre La Scala à Paris. Ils demandaient à des artistes plasticiens de prendre un fauteuil de salle et d’en faire quelque chose. Chaque saison c’est un artiste qui est investi, et présenté dans la salle d’entrée. Et moi, j’ai fait une installation avec un fauteuil, avec un éclairage et il y avait deux vidéos projetées sur les murs. J’ai composé le son pour la vidéo aussi.
Mais cette idée de série, j’ai toujours aimé le cinéma, au départ, c’est ce que je voulais faire. J’aime la narration, j’ai grandi un peu dans le milieu du théâtre. J’ai toujours une approche comme si l’ensemble était une série. Comme si j’invitais le spectateur à rentrer dans une histoire, un univers et à suivre l’histoire à travers ces séries. Pour moi la série sert une idée, prépare le scénario et en fonction de ce scénario, je décide quel médium, quelles formes, quel format etc…
Et en même temps vous ne connaissez pas la fin ? Il y a un gisement que vous développez.
Quand je dis un scénario, c’est un scénario plutôt conceptuel, mais il y a quand même une narration.
Mais est-ce que d’abord il y a le passage à l’écrit ?
Oui j’ai toujours eu des moments pour poser mes idées de films, je les écris et après cela évolue. Et je trouve des références qui vont m’intéresser. Cela peut-être un article sur la biologie, la littérature…
D’ailleurs, à partir des Dépossédés, j’ai eu un lien beaucoup plus fort avec la littérature, même si cela m’a toujours inspiré dans mon travail. Là cela m’a fait découvrir quelque chose que j’aime, ce lien direct avec vraiment la littérature. C’est-à-dire de travailler directement sur une œuvre qui me plaît. C’est quelque chose qui est plus récent et je pense que ce n’est pas terminé cette expérience.
Alors là c’est une autre vidéo, qui fait partie de la série Mutations, 2021, que j’ai faite après le covid en 2021 qui est animée images par images sur Tv paint.
Mais finalement, cela reprend les thèmes qu’il y avait dans les œuvres dessinées des années 2010/ 2012 ? Avec les corps mutilés, le rapport à la machine.
Il y a des thèmes qui reviennent mais cela change un peu. Il y a des personnages hybrides entre l’homme et l’animal, c’est inspiré de l’art folklorique iranien ou d’ailleurs, l’animal vient représenter un état d’âme, un comportement humain mais en fait aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Je ne vais pas représenter un comportement sous la forme d’un animal, le loup pour la férocité, le lion pour la bravoure… l’homme vit sa vie, il cohabite, il se mélange, ils ne sont pas forcément une représentation de quelque chose. Là il y a un élément qui est très présent c’est la bouteille plastique, c’est quelque chose que j’ai fait après le covid, c’est ce moment où cette idée de mutations était devenue un peu obsessionnelle, pour moi et pour beaucoup d’autres.
La vidéo que l’on peut voir après, fait partie des Dépossédés (2023), où l’on voit la chevelure naturelle, comme dans les dessins présents ici qui a été animée image par image. J’ai mis la chevelure sur une toile blanche, j’ai mis ma caméra et j’ai animé celle-ci, j’ai pris les photographies image par image.
C’est un stop motion ?
Oui c’est cela, j’ai superposé deux films pour cela.
Quel est le statut du film d’animation par rapport aux dessins ? Est-ce que c’est la création d’une fiction, d’un récit ?
Le dessin est beaucoup plus large, car cela montre un univers contrairement au film qui a une durée. Le dessin a une durée infinie, là c’est comme ci c’était une captation d’un moment de cet univers.
Dans l’art contemporain, on travaille énormément avec les boucles, la répétition.
La répétition a un sens un peu philosophique dans mon travail, la manière de présenter une vidéo dans une exposition a toujours été importante pour moi. Mais installée avec sens, sinon si c’est pour projeter une vidéo dans une salle, autant aller au cinéma, je trouve. Ou sur son ordinateur.
Pour moi, il faut qu’il y ait un lien avec l’espace. Il y a de nombreuses expositions où j’ai encastré les écrans dans le mur, ou, dans une autre exposition, une vidéo qui était au fond d’un bidon par exemple, ou dans une lune, installée au plafond. Il y a toujours un dispositif.
Entretien entre Elika Hedayat et Thibault Le Forestier réalisé le mercredi 18 octobre 2024 dans le cadre de l’exposition de ses œuvres à L.A. Galerie, lycée Anguier galerie. Exposition entre le 18 octobre et le 29 novembre 2024.
Œuvres issues des collections du Frac Picardie. Un partenariat avec Pascal Neveux, une carte blanche donnée au Festival du Film d’Animation des Villes Sœurs.