After Dédale. Sur le travail de Christian Tangre. Thibault Le Forestier

 

After Dédale

Minos, le roi de Crète demanda à Dédale, l’architecte, de lui construire un labyrinthe pour y enfermer Le Minotaure, né de l’union honteuse de son épouse Pasiphaé avec le taureau blanc que Minos avait refusé de sacrifier. Dédale qui aida Ariane à permettre à Thésée de s’échapper du labyrinthe fut condamné par Minos à y être enfermé avec son fils Icare. Afin de s’en échapper, Dédale construisit des ailes faites avec de la cire, mais les conseils prodigués à son fils, de ne pas trop s’approcher du soleil, furent vains et celui-ci vit ses ailes fondre et s’écrasa dans cette mer que l’on nomma mer Icarienne.

De cette construction conçue pour cacher une honte naquit à posteriori une dénomination, après de multiples modifications, transformations, épiphénomènes inattendus et donna naissance à des êtres, hauts en couleur aux devenirs multiples et prolixes.

Chaque choix, chaque changement de chemins, construit ainsi des routes, se ramifiant pour en entrainer d’autres.

Et l’on peut se demander qui des chemins ou du but est le plus intéressant dans les structures fictionnelles ?

Et tentant de solutionner la question de l’espace de représentation en deux dimensions, Christian Tangre ne tenterait il pas de répondre à cette question ?

De répondre en s’attelant à ce défi homérique, digne du destin d’un Sisyphe, d’un Atlas portant et poussant la réalité.

Comment envisager la construction d’un édifice fictionnel sans plonger les mains, les bras, le corps tout entier dans cette Materia prima ?

Comment embraser la complexité du réel afin de la fixer dans une image finalisée ?

Porbus dans le chef d’œuvre inconnu de Balzac travailla tellement l’espace de la représentation qu’il donna naissance à ce qui semble être la première représentation abstraite constituée de couches de représentations, de repentirs, de fulgurances, dont l’auteur dit qu’au final on ne pouvait reconnaître, que, dans l’amas de la peinture une représentation de pied.

Christian Tangre, prend à rebours le déroulé de ce roman, au lieu de descendre le fleuve du récit comme autant d’explorateurs cherchant à découvrir les origines du Nil au XIX- ème siècle, il se « coltine » des micros-batailles afin de lier personnages et couleurs et histoires.

Il part de l’espace de la bataille, jonché de cadavres encore fumants, pour articuler ce réel qui ne cesse de le questionner.

Il est navigateur, cherchant à dessiner une cartographie à partir de son radeau et pour le faire, il a des atouts simples, certains, en d’autres temps, auraient dit des talents modestes,  la patience, l’opiniâtreté et la maîtrise de la figure.

Mettant le pied, le corps dans ce labyrinthe qui est la question de la représentation figurative, il n’hésite pas à mixer, sampler, fusionner, prosaïque et sacré. Avec ses mains, son pinceau, son quotidien, son goût insatiable de la littérature américaine, que l’on peut dire épique, loin des écrits européens qui semblent pour lui bien trop existentiels pour sa passion immodérée des grands espaces.

Un champ peuplé de figures se questionnant, dans des attitudes symboliques, des postures, bien que pour lui la posture est un mot trop tiède au regard de la haute estime qu’il a du courage de l’artiste, de ce combat solitaire face à cette surface tendue de la toile.

Il avance en allumant plusieurs feux sur la toile, qu’il ne peut laisser se développer, car il lui faut solutionner l’effet par la cause. Alors très courageusement, il puise dans son tonneau des Danaïdes, dans la boite de Pandore qu’il nourrit tel un entomologiste, afin que chaque feux trouve son eau, chaque brebis son loup, chaque croix son Christ.

En fin observateur de Brueghel, il sait qu’un espace narratif ne peut survivre à l’avidité du regardeur, du lecteur que lorsque le bien se confronte au mal.

Que le sel du polar vient plus souvent de la qualité, du raffinement, de l’intelligence du tueur.

Que cette histoire, dont on dit que le protagoniste est venu pour racheter à sa façon, une petite erreur de départ, ne tient les observateurs que du fait de la cruauté, que du fait du raffinement des étapes qui l’amenèrent au mont du crane.

Tout ceci pour exprimer que les idéologies, les grands discours populistes, les modes n’attirent en aucune façon son attention, que comme dit le proverbe, à chaque jour sa peine et que la Peinture se doit d’être avec une majuscule.

Car cette histoire de la représentation, la grande comme la petite a nourri sa passion dévorante depuis l’enfance et il s’est attelé, avec tout le harnachement, les fers comme le harnais, le fouet, comme les cavalcades dans la mer, dans la boue, la sueur et les sanglots, au chariot de la représentation figurative.

Ne cherchez pas une logique, une morale, un sens unique à ce travail, acceptez d’être comme Dédale de trouver une solution pour vous en sortir en prenant en compte la multiplicité des situations représentées, les contrastes fulgurants des couleurs, acceptez d’être happés dans cet univers multiple, de vous confronter à ces situations remettant totalement, par endroits, en question les lois de la perspective et de la narrativité.

Acceptez de voir sa peinture comme un exercice sérieux, de rigueur mais aussi de légèreté, de grandiloquence mais aussi de modestie, de passion mais toujours de retrait, acceptez ce geste simple, Christian Tangre donne à voir sa peinture.

Il la pose devant nous, comme l’auteur pose le fruit de son travail, imprimé sur la table, dans la simplicité d’une couverture de livre.

Il fait comme Edgar Alan Poe, dans la lettre volée, il la met juste à coté de nous.

Sans bruit.