Le E - Entretien entre Vincent Herlemont et Thibault Le Forestier - Été 2025

 E/ ENTRETIEN

                             VINCENT HERLEMONT – THIBAULT LE FORESTIER

                                                                     ÉTÉ 2025

 

 

 

 

 

 

Éveil et parcours de formation

Les premières rencontres humaines ou matérielles avec l’expression artistique sont souvent considérées comme structurantes, primordiales du parcours à venir. 

Y-a-t-il eu un ou plusieurs éléments déclencheurs dans ce sens, dans ton enfance ?

Étais-tu prédisposé socialement à devenir plasticien ?

Est-ce que dans ta scolarité, il y a eu des enseignants, des contacts qui ont nourri ta volonté d’entamer une formation artistique ?

Ou est-ce un parcours qui s’est construit en dehors du cycle de l’école ?

La source provient peut-être de mes difficultés scolaires. Je suis dyslexique, l’école a été une épreuve pour moi (répondre à ce questionnaire par écrit n’est pas chose aisée !). Socialement, mes parents étaient présents et attentifs : ils m’ont inscrit à un atelier d’arts plastiques dès 7 ans : la méthode Martenot. Ils avaient repéré un intérêt certain pour le dessin : je faisais souvent des dessins et des croquis à la maison (peut-être une échappatoire à la vie scolaire).

Du point de vue social, mes parents ne projetaient aucun avenir artistique pour leurs enfants ! En revanche, ils nous emmenaient au musée, à Lille, à Paris. Bref, un milieu ouvert et porteur. 

Après le collège, j’ai suivi un bac technologique (F12 Arts appliqués) qui a largement contribué à mon épanouissement scolaire à partir du lycée. A cette époque, j’ai commencé à aller au LAM, et j’y ai découvert les périodes contemporaines de l’art.

Après le bac, j’ai intégré la 1ere année de Beaux-arts à Cambrai (DNAT, arts et techniques), où j’ai rencontré Denis Pondruel et Patrick Tosani : ces artistes, et d’autres, étaient invités une journée entière à présenter et à parler de leur travail. Ces rencontres ont été déterminantes : associer une personne à une pratique. 

 

Être artiste dans la société 

Quand tu te présentes dans l’espace social, comment te « désignes » tu ? Artiste, plasticien, peintre autre ? 

En général, je me présente comme enseignant de pratiques artistiques dans un centre d’art et au musée des Beaux-Arts de Lille. C’est plus pratique socialement : Quand on se présente comme artiste, les gens projettent toute une mythologie derrière (par exemple, les copains de mon fils imaginaient que son père devait très riche s’il était artiste !)

Est-ce que c’est un statut facile à faire accepter dans le corps social, dans ta famille, tes ami(e)s non artistes ?

Le statut d’artiste plasticien est tout à fait accepté dans ma famille, les amis, sans doute que ce statut est légitimé par le fait d’être enseignant à côté. 

Qu’est-ce que représente l’art pour toi quand tu as fait le choix de te lancer dans des études supérieures artistiques ? 

Après ma première année de Beaux-arts à Cambrai, j’ai fait un BTS de communication visuelle pour rassurer mes parents. Les stages de ce BTS en agence, m’ont conforté dans le fait de m’engager dans un parcours artistique et non plus arts appliqués. J’avais déjà initiée une pratique de dessin peinture en parallèle du BTS.

Origines et création

Est-ce que le fait d’être originaire du Nord a eu une influence sur les formes, les couleurs de tes œuvres ? 

Je ne le pense pas mais je suis un gars du Nord ! 

« Sans orienter définitivement son travail du côté de l’humour, Vincent Herlemont est un artiste du Nord, puisant son énergie dans le même sens de la dérision que Marcel Broodthaers ou Wim Delvoye. Il a en commun avec le premier un souci de pédagogie et d’organisation (tableaux explicatifs, planches d’images) et avec le second le même intérêt pour le cochon ! Wim Delvoye fait réaliser des tatouages de bikers sur des porcs vivants quand Vincent Herlemont exécute une sculpture « à faire soi-même » à partir de tranches de jambon qu’il substitue au kit de carton d’origine. » David Cascaro, Vincent Herlemont. Mode d’emploi, 2003, Catalogue de l’exposition à l’espace Vallès à saint Martin d’Hères.

Penses-tu que l’on peut mieux comprendre la production artistique d’un auteur au regard de ses origines, sociales, géographiques ? 

C’est variable, suivant les artistes. Ce n’est pas une constante.

Écoles d’art

Tu es diplômé de quelle(s) écoles, faculté ? 

·       BTS Communication visuelle (91)

·       DNAP Beaux-Arts de Tourcoing (93)

·       Licence Arts plastiques Lille (94)

·       DNSEP Paris (96)

Est-ce que cela a été difficile de réussir le/les concours d’entrée ? 

Plus ou moins. J’ai intégré les Beaux-arts de Paris en 4ème année, après le DNAP de Tourcoing, après une première tentative. J’ai intégré l’atelier de Pierre Buraglio à l’école des Beaux-arts de Paris, sur les conseils de Tania Mouraud que j’ai eu comme enseignante aux Beaux-arts de Tourcoing.

Est-ce que des artistes/professeur.e.s, ont eu des influences prépondérantes sur ton travail ? Mais bien sûr, cela peut-être les techniciens aussi. 

Tania Mouraud m’a conforté et m’a donné envie de poursuivre. J’ai aussi été son assistant sur une exposition et cela a été très formateur : cela m’a conforté dans l’idée que la méthodologie était capitale. Pas de place à l’improvisation ! Prise en compte de l’espace d’exposition, travail in situ… 

Aux Beaux-Arts, il n’y a pas que les profs ou les techniciens qui comptent : les autres étudiants aussi grâce aux échanges et à la variété des pratiques qu’ils adoptent…

J’ai eu le privilège de rencontrer et de travailler avec le sérigraphe Alain Buyse à Lille dont les qualités humaines étaient à la hauteur de ses qualités techniques. Au-delà de sa maitrise technique de la sérigraphie, Il avait une conception de l’édition et une volonté de transmettre que j’admirai. 

Qu’est-ce qui a été notable dans les acquis de l’enseignement que tu as eu aux Beaux-Arts de Paris ? 

Les moyens qu’offre l’école : la base bois, la base métal, … Être au cœur des galeries parisiennes. Pierre Buragglio nous éveillait en nous emmenant voir des expositions, des architectures, en faisant venir des artistes. 

Est-ce que c’est déjà dans ton cursus que tu as choisi de ne pas privilégier de médium d’expression particulier ?

« Après s’être d’abord dispersé dans la peinture, Vincent Herlemont a resserré sa pratique artistique autour de quelques idées, emportant d’un seul coup la prédominance d’une technique. Au risque de donner l’impression d’une réelle dispersion, il emploie indifféremment le stylo Bic, le tuyau de cuivre, la photographie, des bombes aérosols, des tranches de jambon, ou des plaques de verre peintes » David Cascaro, Vincent Herlemont. Mode d’emploi, 2003, Catalogue de l’exposition à l’espace Vallès à Saint-Martin d’Hères

Aux Beaux-Arts, je faisais de la peinture exclusivement. L’utilisation de différents médiums est venue après mon cursus. J’ai délaissé progressivement la peinture sur toile, au profit du mur en m’éloignant de la toile tendue sur châssis.

Et est-ce que ta perception de l’écosystème art contemporain a changé par rapport à l’idée que tu t’en faisais lorsque tu as commencé à être plasticien dans les années 90, après tes études ? 

Ça n’a fait que renforcer l’idée d’une grande disparité du monde artistique, tant du point de vue formel que social.

Ma perception de l’écosystème artistique n’est pas venue de ma pratique mais plutôt de mon expérience de curateur, bien après mes études (vers 2002, ma première exposition en tant que curateur, « Offset », une exposition de cartons d’expositions !).

 

Influences/mouvements/ styles/ influx

Bien que depuis les années 90, la structuration en périodes, en mouvements est moins prégnante, y-a-t-il eu des mouvements artistiques antérieurs auxquels tu te réfères plus particulièrement ? 

On trouve dans ta démarche autant des influences de l’art conceptuel exigeant, austère, sériel que de l’abstraction suisse, pour la rigueur, l’aspect géométrique, la palette chromatique (Stephane Daflon, Philippe Decrauzat…) que de figures plus poétiques, jouant avec l’absurde comme Marcel Broodthaers, Robert Filliou mais aussi l’intérêt pour la disparition de l’œuvre en tant qu’objet marchand que l’on trouve chez Fluxus, mais aussi le sens de l’humour et une forme d’autodérision. 

Tout est dit, Merci Thibault ! Le Pop art, le Minimalisme, l’Abstraction géométrique, le Bauhaus… sont des mouvements et école auxquels je me réfère.

L’intérêt pour des artistes ou des courants s’effectue comment pour toi, tu te reconnais dans le sillage de ceux-ci ou tu surfes sur de grandes quantités d’œuvres et ta pratique s’en ressent de manière informelle ? 

En voyant un imprimé de textile dans un magasin ou un papier peint, j’y associe des connections artistiques auxquelles je me réfère... Ma source d’inspiration ne part pas de références d’artistes ou de courants, mais de mon environnement quotidien.

Y-a-t-il actuellement d’autres artistes actuels dont tu regardes plus particulièrement l’évolution ? Et est-ce qu’ils contribuent à nourrir ton travail ?

Je découvre des artistes régulièrement... je les suis autant que possible, au sens où je tâche d’aller voir leur travail. 

François Morellet, Paul Cox, Auguste Herbin, Donald Judd ou Roy Lichtenstein mais aussi d’autres artistes qui sont très éloignés de ma pratique (Albert Marquet, Eugène Delacroix, Gustave Courbet, …).

Ça me nourrit de suivre des artistes, ça me met en mouvement. Difficile d’être artiste sans savoir ce qui se passe ! 

Ce qui me nourrit aussi, ce sont les visites d’ateliers d’artistes, source d’échanges : comment ils vivent, comment ils stockent, comment ils travaillent ...

Cuisine/ série

Comment se passe la conception de tes projets, as-tu des modalités de travail expérimentales qui seraient comme une base de données ou as- tu une idée très précise, rapidement de ce que tu veux obtenir ? Fais-tu des croquis au préalable ? Utilises-tu le médium photographique dans ce processus comme document ? Fais-tu des maquettes ?

Est-ce que le travail sur des carnets de travail a une place prépondérante dans la gestation de tes projets ?

Je ne suis pas dans l’expérimentation. 

Je mets en place un protocole de réalisation et je l’exécute. Le carnet, les croquis, sont en amont : ce sont des carnets où je note des idées, certaines seront mises en œuvre, d’autres non…

Au départ, ce sont des objets qui me séduisent, qui m’inspirent ! C’est toujours, très prosaïque, très concret. 

Le protocole mis en place est l’équivalent de la règle du jeu d’un jeu. La mise en place de ce protocole peut faire l’objet d’une série, mais je n’y reste pas jusqu’à l’épuisement, jusqu’à devenir carcéral (comme Roman Opalka) … Je passe au suivant, j’en recherche un autre.

Thèmes à l’œuvre

« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art », disait Robert Filliou, en quoi cette citation résonne-t-elle dans ton travail ? 

Il semble que tu n’as pas de thèmes de prédilection, par contre ta source semble être le réel dont tu utilises des représentations les plus prosaïques, objets de la cuisine, fond d’écran de jeux de cartes, motifs textiles…

Jusqu’aux années 70, la culture populaire, la publicité, le stylisme, le design se sont nourris des recherches en arts visuels, il semble que dans ton travail on a un processus inverse où les productions manufacturières sont pour toi une source inépuisable d’inspiration, peux-tu développer ? Et comment se font tes choix ? 

Mes choix se font « naturellement », ils me tombent dessus !  Des objets me séduisent.  Par exemple, ma fascination pour les modes d’emploi m’amène à en faire un sujet de travail : J’ai reproduit des modes d’emploi au stylo Bic. Les modes d’emploi, sont le premier degré de la narration visuelle, de la bande dessinée, cela permet d’expliquer quelque chose ni par la parole, ni par le texte. Les modes d’emploi renvoient aussi à des œuvres de Lichtenstein, de Warhol.

L’objet retenu est celui qui entretient une ambivalence avec l’art contemporain, l’écho qu’il renvoie, la corrélation que je peux faire avec l’art contemporain. 

Comment se fait-il que ta source soit ce réel et non pas, des thèmes ou des sujets plus nobles comme on peut les voir dans les représentations que l’on trouve dans le musée des Beaux-arts que tu connais bien ?

Est-ce que tu penses que tout motif peut faire l’objet d’une œuvre ?

Tout motif ne peut pas faire l’objet d’une œuvre (cf. précédemment). 

Aux Beaux-Arts de Tourcoing, j’ai pris le parti, dans les peintures que je faisais, de n’utiliser ni perspective, ni ombre et lumière. Il faut une ambigüité entre le prosaïque et l’œuvre d’art, créer un décalage qui interroge nos tics de vision. La série Les jouets est un ersatz d’une œuvre abstraite alors qu’il s’agit de la représentation, en peinture à l’huile, d’une des faces de ces objets.

D’ailleurs, le motif de la grille, les couleurs alternées, répétées, les rythmes sont des notions récurrentes chez toi, a quoi correspondent elles ? En sachant que le motif de la grille est omniprésent dans les primitifs de l’abstraction (Piet Mondrian, Van Doesburg, Sophie Taueber-Arp, Vasarely, Agnès Martin) veux-tu montrer par ton travail de recollement au réel que les dites grilles ont été totalement absorbées par la production manufacturière ?

La grille en soi n’est pas un sujet pour moi, ni particulièrement une source d’inspiration.

Il y a la forme de l’escalier hélicoïdale qui est récurrente, la symbolique de celui-ci est souvent associée à l’ascension mais aussi à la transformation intérieure, l’initiation, qui évoquerait une progression difficile mais enrichissante vers une forme de sagesse, est-ce que le fait d’ajouter une illusion (l’escalier en carton plume) permet d’insérer de l’humour, de la distance dans cet aspect symbolique un peu pesant ? 

L’ascension, l’élévation, je m’y retrouve totalement. L’origine, est la carte postale que j’avais sur mon bureau : le philosophe de Rembrandt(1632). Le fait de le faire tourner évoque la contemplation et l’ascension ; Il nourrit aussi une autre réflexion : la différence entre la peinture et la sculpture. 

En peinture, le point de vue du regardeur est unique, le regardeur est statique. La sculpture invite le spectateur à être en mouvement pour appréhender différents points de vue. Dans l’escalier qui tourne, il y a un jeu sur le point de vue : le regardeur peut rester statique et appréhender tous les points de vue. 

Tu as mis en place un dispositif qui se nomme « vous êtes ici », qui est aussi le nom de ton association, peux-tu nous en parler ? Est-ce une manière de s’approprier un lieu en accentuant l’existentialisme de celui-ci ou est-ce un protocole pour associer une temporalité, un lieu en en faisant une œuvre, je pense à Gianni Motti qui avait revendiqué un accident, comme l’explosion en plein ciel de la navette américaine Challenger, le 28 janvier 1986, des catastrophes naturelles comme les tremblements de terre de Californie en juin 1992, Genève en décembre 1994 et Rhône Alpes en juillet 1996, la revendication de phénomènes atmosphériques sans conséquences comme les éclipses de lune et les chutes de météorites ;

C’est plus « situationniste » que « existentialiste ». A l’origine, en 2003, c’était le nom d’une exposition qui associait 3 artistes, Arnaud Ferret, Xavier Géneau et moi, dans nos 3 ateliers situés dans la métropole lilloise : il y avait un parcours proposé aux visiteurs. Puis, j’ai retenu ce nom comme nom de l’association. De fil en aiguille, j’ai développé différents travaux partir du logo : photographie systématique des logos existants, Wall Paper « vous êtes ici », travail à partir du logo à l’échelle d’une cour de récré vu par un drone…   Ce qui m’amuse, c’est qu’il existe un milliard de « vous êtes ici », paradoxalement, quand on le voit, il ne désigne qu’un un seul endroit. C’est un concept ubiquiste !

Peut-on dire que l’escalier hélicoïdal dans sa symbolique est une métaphore de ce que tu mets en place, élever le prosaïque au rang d’œuvre et par le biais de l’éducation artistique, amener une population éloignée de l’art, par la pratique à briser les frontières sociales trop souvent associées à la fréquentation et à la pratique de l’art contemporain ?

Oui, mon travail n’est pas uniquement un exercice intellectuel. J’aime le jeu de l’esprit, pas vraiment conceptuel, sans perdre de vue le rapport à l’esthétique.

Peut-on dire que tu augmentes le réel par changement d’échelle plus que tu ne le documentes ? 

Oui effectivement je suis très attaché à la question de l’échelle, parfois elle est augmentée, parfois elle nécessite, au contraire, de garder l’échelle 1. Elle est rarement diminuée.

L’escalier, au départ, je ne l’ai envisagé qu’à l’échelle 1. 

Le choix du médium, est le 2ème axe de traitement. Pour l’escalier : le carton plume.  Je réfléchis à l’échelle, et je fais le choix du médium, de la technique.

« Hommage, prolongement, détournement, écart, simple amusement ou laborieux projet, seront en marge d’un résultat dont l’orientation est orchestrée par une technique spécifique. Faire est l’accomplissement d’une idée, fabriquer est la visualisation d’un concept, réaliser est un test pour valider le tout » (Vincent Gassin- 2006- Exposition Vice-versa)

 

Présentation/ monstration

Tu portes un soin bien spécifique dans la conception des présentations de tes projets, on peut parler de scénographie.

Comment envisages-tu la présentation de ton travail, est-ce que chaque projet est une opportunité de travailler à un mode de présentation différent ? Est-ce que, pour toi, l’exposition est une œuvre en tant que-telle, comme ont pu le montrer la génération des artistes issus de l’école de Grenoble (Philippe Parreno/ Pierre Huygue/ Dominique Gonzalez Foerster) ?

Je n’ai pas une pratique quotidienne à l’atelier. En général, c’est la proposition d’une exposition qui me permets de développer un projet spécifique. J’envisage souvent l’espace d’exposition comme un nouveau terrain de jeu. 

« Les productions ne sont pas dites in situ, pourtant elles seront, par nécessité de leur définition, adaptées aux espaces qui les reçoivent. » Vincent Gassin- 2006-Exposition Vice-versa.

« Une exposition est un jeu de construction qui permet de composer des ensembles et des formes inédites à partir de pièces, de modules, de processus ou de modes d’emploi » - David Cascaro- 2012- Catalogue exposition Le Palais de la découverte – Trith Saint Léger.

 

En quoi une collaboration artistique, un duo comme dans cette exposition, une exposition collective, permet de construire d’autres espaces, d’autres significations ? 

Un duo n’est pas tout à fait une exposition collective. A deux artistes, on réfléchit le choix des pièces et scénographie : Quelles pièces vont être montrées et comment elles le seront. Une exposition collective, la scénographie est en quelque sorte déléguée au curateur. 

Avec Alexis vous avez conçu des expositions collectives, tu conçois des expositions collectives chaque année, est-ce que l’on peut dire que l’exposition fait œuvre ? 

Elle peut le faire parfois ! Par exemple, l’exposition « Pleins ciels » organisée à l’issue d’un appel à contribution de l’association vous êtes ici, qui présentait, en un seul mur, plus de1000 photos de ciel de plus de 200 contributeurs, en décembre 2012, à la date présumée de la fin du monde… 

J’ai assuré le commissariat de plus de 30 expositions, dans mon atelier via Vous êtes ici ou dans d’autres espaces, comme à la galerie Frontières ou à la Galerie Fournier à Paris avec Alexis.  Organiser des expositions collectives est quelque chose que j’aime faire. Tirer un fil, choisir les artistes, sélectionner les pièces, organiser la cohérence du tout…j’aime. Peut être est ce une façon de partager mon atelier. C’est un plaisir et un grand luxe de pouvoir accueillir des artistes et des pièces qu’on aime, chez soi, et de partager ce moment ! 

Peut-être qu’une exposition réussie est celle qui fait œuvre…

 

Exercer un métier

Quelle définition donnerais-tu au métier de plasticien en 2025 ?

Les Arts plastiques, c’est une forme de philosophie appliquée. Quand Magritte peint « ceci n’est pas une pipe », c’est une œuvre philosophique » …  Les arts plastiques sont une sorte de philosophie visuelle (D’où ma difficulté à y mettre des mots !) Ce qui est commun entre la philosophie et les arts plastiques, c’est la notion de concept, dans le sens où il ne s’agit souvent pas de quelque chose de spontané, mais de réfléchi, de construit intellectuellement. Pour moi, l’œuvre n’est « validée » que lorsqu’elle est conforme à l’idée que je m’en faisais avant la réalisation. 

A-t-il été difficile d’avoir un atelier dans la métropole Lilloise ? Comment t’y es-tu pris ? 

J’ai tout simplement cherché une maison avec un atelier, ce qui m’a contraint à m’éloigner du centre-ville.

As-tu eu des difficultés à trouver un équilibre entre travail « alimentaire » et artistique ? 

Aujourd’hui l’équilibre est parfait pour moi : un travail d’éducation artistique, les commissariats, et ma pratique sont mes 3 piliers et me permettent de vivre (l’éducation artistique est ma source de revenus). 

Ça ne me conviendrait pas d’avoir 100% de mon temps dédié à ma pratique, ça me ferait plutôt peur… 

En quoi vivre et travailler en province peut être un avantage et un problème pour mener une carrière dans l’art contemporain ?

L’avantage est d’avoir un espace d’atelier grand et agréable, mais l’inconvénient est que tu ne disposes pas des opportunités parisiennes. C’est un réseau plus restreint.

Penses-tu qu’il est obligatoire de vivre dans une grande capitale pour être à même de pouvoir ressentir et exprimer l’actualité du réel ? 

Non, je ne pense pas.

Autres champs artistiques/ Références

Excepté l’art visuel, y-a-t-il d’autres disciplines artistiques dont on peut dire qu’elles ont une importance pour nourrir le champ de ta créativité ? 

Oui, l’architecture brutaliste, les arts décoratifs.

D’autres disciplines des sciences humaines, la philosophie, la psychologie, la sociologie, la géographie, l’histoire, autres ? 

Pas vraiment les sciences humaines, mais plutôt certaines disciplines que je ne maîtrise absolument pas, relevant des sciences ou techniques : les avions, l’astrologie, les maths ... mais sans approfondissement.

Littérature/ essais

As-tu des romans, des essais qui t’ont marqué et qui nourrissent encore ton travail ?

Je viens de lire cet été « Jeu de construction » de Paul Cox, qui m’a fortement intéressé par les échos à mon travail personnel. « Les Arts Ménagers », Larrousse 1961, « 100000 Milliards de poèmes » de Raymond Queneau sont aussi des ressources pour moi.

Le documentaire, le cinéma, les séries 

As-tu des œuvres marquantes ?

J’aime bien ce mythe : le récit relaté dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien mettant en scène un peintre et son élève – Zeuxis et Parrhasios – rivalisant de talent et se défiant en exposant, tour à tour, un de leurs tableaux. Initiant cette compétition, Zeuxis présente une peinture de raisins si réussie que des oiseaux se rapprochent de la toile pour venir tenter de la picorer. Ravi, et sûr de son succès, il demande alors à Parrhasios de dévoiler sa propre œuvre en désignant celle-ci qu’il croit recouverte d’un rideau. La surprise de cette fable résulte du fait que Parrhasios a ainsi illusionné Zeuxis en peignant un rideau qui compose son véritable tableau, réalisé spécifiquement pour la circonstance. Zeuxis est ainsi obligé de reconnaître sa défaite.

Musique

Est-ce que la musique a une importance dans tes processus créatifs ? Quelles sont tes références ? 

J’ai partagé mon atelier pendant plusieurs années avec un musicien et arrangeur, Paul Grundy. Cette cohabitation a été l’occasion de longues conversations et de quelques collaborations qui se sont concrétisées par un spectacle visuel et sonore « Kit Poetik » en Novembre 2024. J’ai beaucoup apprécié ces échanges.

Engagement / transmission

Penses-tu qu’en France il y a un manque de temps donné dans l’enseignement de l’histoire de l’art, à l’architecture, au design, une éducation à l’image mais aussi à l’évolution des formes permettant au public d’envisager la création contemporaine avec un regard éduqué ?

On en manque forcément en France mais ce n’est pas si mal : arts plastiques à l’école, éveil artistique, musées. Au collège, il y a encore de la pratique artistique, malheureusement souvent abandonnée au lycée.

Fais-tu de l’éducation artistique ?

Oui, c’est une de mes principales activités avec la pratique d’atelier et les commissariats d’exposition. Ce n’est pas un hasard si j’ai fait autant d’EROA( Espace de Rencontre Avec l’œuvre d’Art) : tout en étant un espace d’exposition, c’est également un espace de rencontre et d’échange avec un public pas forcément averti. 

Quelle place a-t-elle dans ton processus créatif ? Ou en quoi le fait de transmettre rejaillit ou pas sur ta pratique ?

C’est au cœur de mon processus créatif !  L’un nourrit l’autre et réciproquement… la question du protocole est centrale pour ma pratique comme elle l’est dans mon enseignement artistique. Passer de l’un à l’autre, c’est ce que j’aime. Je craindrais de « m’assécher » sans l’enseignement artistique comme si je n’allais plus voir d’exposition.

 

Culture/ voyages

Est-ce que les voyages nourrissent l’évolution de ta pratique ?

As-tu fait des voyages qui auraient été déclencheurs de « virages » dans ton travail ?

Ou es-tu comme, encore Caspar David Friedrich, à qui on a reproché de ne pas avoir fait le voyage à Rome auprès des grands maîtres, qui déclarait, pour résumer, « pourquoi faire le voyage à Rome, puisque dans un grain de blé on peut voir Dieu » ?

Ça a un peu évolué. Je ne voyais pas l’intérêt des résidences par exemple, ici ou ailleurs, ça ne changeait rien… La réalisation ne dépend pas du lieu de production.

J’ai révisé mon point de vue : quand l’esprit est disponible, c’est sans doute différent. J’ai peu voyagé, le déplacement n’est pas nécessaire.

Strates ou « pas »

Si tu envisages ta carrière, considères-tu que tes projets comme se superposant les uns au-dessus des autres, l’ensemble constituant un mur (dans un sens positif, constructif) ou les voies tu plutôt comme des « pas » (je pense au « pas » japonais dans les jardins) qui construisent ton chemin de vie ?

Vois-tu une évolution dans tes réalisations ?

Je pense que les fondamentaux sont posés assez tôt, vers 20 – 25ans, la suite est presque une redite qui prend des formes diverses. Une recherche formelle éternelle !

Rapport au temps/ projection

Sais-tu sur quoi tu vas travailler dans les cinq ans à venir ?

Je ne sais pas du tout ce que je ferai dans 5 ans, ça évoluera en fonction des opportunités mais, j’ai quand même des projets dans les tiroirs que je souhaite exploiter…  Je les ai en tête ou dans des carnets.

Souvent les artistes visuels disent que leurs réalisations les aident et sont indispensables dans la construction et la connaissance de leur identité et qu’elles sont indispensables à l’évolution de leur vie, es-tu dans le même cas ?

De fait, penses-tu qu’un artiste progresse constamment ou plutôt qu’il traverse des périodes plus ou moins déterminantes dans son évolution avec des périodes de stagnation, de régression nécessaire à son évolution et que la notion dynamique de progrès n’existe pas en art ?

Penses-tu que l’on peut comprendre l’artiste, son psychisme en regardant ses œuvres ou faut-il analyser de manière sociologique, ses conditions de vie, d’habitation, pour comprendre l’œuvre ?

C’est souvent intéressant de le savoir, parfois une anecdote peut être révélatrice.

 

Donner à voir le monde invisibilisé.

On associe le statut d’artiste à une expression d’un positionnement qui répond aux problématiques de la société, est-ce ton cas ?

Non, c’est plutôt pointer nos tics de visions, révéler ce qu’on a sous les yeux plutôt que révéler l’invisible.

Ou en d’autres termes, te considères-tu comme un artiste engagé ?

Heuh...

Penses-tu que l’art peut encore être une possibilité de mettre en lumière des situations que la société aimerait laisser dans l’ombre, cachées ? 

Oui, je pense que des artistes y contribuent

Wim Wenders vient de sortir un film qui se passe au Japon, The perfect days sur la vie d’un employé qui entretient avec passion et délicatesse les toilettes publiques, penses-tu que l’être humain devrait être beaucoup plus attentif aux petites choses et plus respectueux des invisibles qui font que la vie en société est possible ?

Oui, bien sûr ! 

 

Statut

Penses-tu que le statut actuel des artistes auteurs en France est-il un statut idéal pour construire une œuvre artistique ? 

Quel serait le statut idéal ? je ne sais pas mais être artiste n’est pas facile, ou plutôt pas facilité. L’art contemporain me parait bien inscrit dans le monde capitaliste (galerie, marché, cote...) D’où l’absolue nécessité qu’un équilibre se fasse entre l’argent privé et l’argent public.

Ou considères-tu que la charge de devoir gagner sa vie, par d’autres biais, nuit à la construction de votre travail artistique ?

Pas pour moi, mais peut être que j’ai de de la chance.

Et pour finir, quel serait un statut idéal pour développer son travail artistique sereinement, un revenu garanti et mensualisé pour les artistes ou une réévaluation des droits de monstration, une mise en place importante de lieux de présentation des arts contemporains moins centralisées en ile de France et plus diffus sur le territoire français. 

Et pour finir, penses-tu que l’art puisses changer le monde ?

S’il y contribue, c’est déjà énorme !

 

 

Entretien préparatoire à l’exposition à L.A. Galerie du Lycée Anguier de Eu, réalisé entre Vincent Herlemont et Thibault Le Forestier – Été 2025.

Exposition Casa dolce casa – Alexis Nivelle et Vincent Herlemont – 12 septembre/ 10 octobre 2025

 

 

Exposition Casa dolce casa - Vincent Herlemont & Alexis Nivelle - 12 septembre/ 10 octobre 2025 - Vernissage 12 septembre, 17h30

  Exposition Casa dolce casa - Vincent Herlemont & Alexis Nivelle - 12 septembre/ 10 octobre 2025 - Vernissage 12 septembre, 17h30 Pour ...