Du
bonheur des schizes et autres oxymores dans l’univers de Christophe Robe
On hésite
souvent à plonger, à franchir, sans visibilité.
Plonger ;
fait de chuter volontairement du haut vers le bas, trajectoire verticale,
acceptation de la gravité, sans retenue.
Traverser ;
franchissement/ transgression horizontale, le plus simple déplacement, en
apparence. Mais traversée, d’une surface, elle, verticale, qui du fait de sa
hauteur, non forcément déterminée, peut occulter la vision, empêchant d’en
connaître la profondeur.
Il n’est plus possible, en
2024, de parler de dissociation entre abstraction et figuration.
C’est
une paraphrase des propos de Christophe Robe sur son travail qui me renvoie à
l’association, que longtemps j’ai faite de son travail, le reliant à des
démarches abstraites. Est-ce du au fait que j’ai rencontré son travail dans un
réseaux de lieux privilégiant la présentation de démarches artistiques non
figuratives ?
Est-ce
une question d’outil de traduction, de lecture de ses images, à inventer ?
Est-ce
au du fait que bien que j’ai beau cherché, je ne trouve de cartes pour me
repérer dans ces territoires picturaux ? Est-ce simplement qu’il faille
laisser à l’entrée les vêtements des certitudes et autres gants des idées
toutes faites ?
L’œuvre
est image, l’image est un essaim d’informations analysables par la sémiologie
et nourrissants les outils de la critique.
Le
regard balaie cet essaim et le cerveau le rapproche d’images comparables,
d’images miroirs, des mêmes. Une fois trouvées, celles ou celles-ci, le
regardeur est à même d’avancer.
Longtemps
l’orthodoxie de la critique d’art interdisait, presque, à ceux-ci d’utiliser
les mêmes images miroirs pour « traduire » les formes abstraites et
figuratives.
Il
fallait, on se devait, de distinguer les deux.
Et
face à une peinture All over, d’un tenant de l’expressionisme abstrait
américain, par exemple, on n’avait pas le droit d’y reconnaître des formes anthropomorphiques,
le dogme était quasiment totalitaire.
On
nous interdisait de franchir cette frontière sous peine de bannissement
idéologiquo-conceptuel.
Mais
la montagne de l’interdit s’est, depuis, transformée en souris.
Le
voile des apparences, semble, s’être levé.
Il a
été percé ou plutôt a disparu quand cette volonté, cette dictature de la
lecture a été rangée aux placards avec la catégorisation en mouvements
artistiques.
Comme
le travail d’un couple de photographes à pu faire l’objet d’un grand prix de
sculpture ( les Becher/ Biennale de Venise – 1990), la boite de Pandore a été
ouverte et les codes de lecture des œuvres ont été profondément ( et
heureusement) renouvelés.
Et la,
à la place du chaos tant annoncé par les prophètes rigoristes de la critique, un
champ de significations divers et multiple à poussé, de façon rhizomatique, dans
toute les directions.
Les
« anciennes » mauvaises herbes de la pensée, riches en fait en oligo
éléments ont joyeusement ensemencé le logiciel d’interprétation, bloqué qu’il
était depuis l’époque moderne.
L’oeuvre
de Christophe Robe à « poussé » dans cette époque dite postmoderne où
l’académisme conceptuel, minimal et formaliste de la fin des années 70 a été
balayé par un désir de citations, de couleurs, de retour à la peinture mais
surtout a donné la possibilité aux artistes plasticiens, de puiser dans toutes
les traditions artistiques sans respecter les codes de ce qui était devenu un académisme
minimal et conceptuel froid, de mélanger sans scrupules culture savante et
culture populaire, notamment.
Mais,
comme souvent, tout n’a pas été aussi simple.
La
peinture qui était dite morte dans ses années de formation aux beaux-arts de
Caen, n’a pas aidé Christophe Robe à tracer une route après sa formation, qui
s’est avérée périlleuse (peut-être c’est de cette époque que provient son gout
pour l’escalade plastique en parois difficiles). Son médium de prédilection semblait
être symptomatique d’une forme d’archaïsme rétrograde aux yeux des enfants de
l’inventeur du ready-made, coupant à son origine toutes possibilités
d’échanges, de dialogues.
D’autant
plus que ses recherches picturales l’on amené vers des chemins fort sinueux.
S’échappant des autoroutes des systèmes de mode bien français où tous les dix
ans, un groupe d’artistes est sur valorisée dans les institutions et les
galeries, il a tracé un chemin dans des territoires inconnus.
Et de
fait, il se trouve la où on ne pense pas qu’il devrait être. Son parcours est
ainsi jalonné de ruptures formelles, de modifications constantes des protocoles
picturaux, déstabilisantes pour le marché, sans doute.
Quand
l’expérience est au cœur du réacteur Robe, quand celle-ci est son uranium, il
ne peut y avoir de stratégie pré établit, de confort bourgeois pour le
regardeur.
Car il
faut être particulièrement bien équipé, en chaussures sémiologiques fortement
crantées pour analyser la constante modification des signes représentés, porter
un manteau ayant la particularité de pouvoir supporter la fournaise des champs
de couleur et la prolifération graphique, l’aridité des frottages et en un
temps très court pouvoir assumer le fait d’être immergé dans les ténèbres
d’aplats glacés. Mais aussi, accepter la soudaine et éruptive quiétude et
douceur d’une étendue colorée et l’instant d’après d’être quasiment agressés
par l’évidence de formes anthropomorphiques, de plus non flatteuses, grotesques
qui rompt d’autant plus violemment avec cet apriori, cette chantilly
intellectuelle, bien confortable de l’associer jusqu’alors à l’abstraction.
Savoir
accepter, avant de s’engager sur le chemin à pic de l’analyse, de jeter dans
l’abime les cartes habituellement utilisées pour décoder, pour hiérarchiser et
ranger les formes artistiques, ne pas s’inquiéter du dysfonctionnement
giratoire de la boussole chronologique, chère à l’Histoire de l’art.
Il y a
du Matrix dans l’œuvre de Christophe
Robe, le tout est envisageable en une temporalité de lecture plus
qu’instantanée. Schize, fracture, atemporalité, rupture.
Peut-on
parler de corps sans organes, de paysages sans cartes, de territoires tranchés,
renversés, retournés où le proche côtois le lointain, l’infiniment petit,
l’immensité cosmique, un univers à proprement parlé Deleuzien ?
La
nuit en plein jour, l’infiniment petit gigantesque, marcher sur des nuages en
une profondeur océanique. Les oxymoriques schizes présentent dans ses
représentations. Est-ce une tentative de représentation des espaces
quantiques ? Des images d’Interstellar
de Christopher Nolan surgissent, pouvoir être dans l’infiniment grand des
espaces d’un trou noir et en même temps minuscule à l’arrière des livres d’une
bibliothèque.
« Toi
qui va à la rencontre de cette œuvre, accepte de laisser la tes certitudes,
l’expérience d’immersion ne sera que plus totale et te permettra de pénétrer au
cœur de cet univers si singulier, si unique ».
C’est ainsi
en paraphrasant Dante, que l’on pourrait, peut-être introduire le chemin dans
cette œuvre, mais aussi en faisant un pont avec la soi disante totale et
fascinante liberté d’association et d’assemblage des I.A qui font les choux
gras, des adeptes de l’obligation de renouvellement constante des formes.
Ici, physiquement
face à l’œuvre, une expérience quasi synesthésique est proposée que jamais à
moins qu’une quatrième dimension, chère à Marcel Duchamp ( et ici la boucle se
rejoint étonnement, comme dans un anneau de Moebius) ne soit possible d’être
représentée, l’I.A ne pourra proposer.
Thibault
Le Forestier. Avril 2024